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Statut d’établissement public et aides d’Etat

la CJUE persiste et signe

12/10/2018

L’identification d’une garantie implicite illimitée de l’Etat au profit des établissements publics et la qualification d’aide d’Etat en découlant font l’objet d’un bras de fer contentieux entre la France et la Commission européenne depuis 2010.
 
Dans un arrêt rendu le 19 septembre 2018, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) clôt définitivement le débat et étend la portée de l’avantage attaché à cette garantie. La position adoptée suscite nombre de questions sur ses conséquences pratiques sur l’organisation des activités des établissements publics (CJUE, 19 septembre 2018, C-438/16 P).
 
Identification d’une garantie illimitée de l’Etat au profit des établissements publics inhérente à leur statut - Le contentieux entre la France et la Commission européenne est né de l’adoption, par la Commission européenne, d’une série de décisions concernant des établissements publics français : EDF, La Poste, avant leur transformation en société anonyme et l’Institut français du pétrole à l’occasion de sa transformation en établissement public industriel et commercial (EPIC).
 
Pour la Commission européenne, certaines spécificités inhérentes au statut d’EPIC, telles que l’impossibilité d’être mis en procédure d’insolvabilité, conduit en pratique à faire bénéficier ces établissements d’une forme de garantie implicite illimitée de l’Etat.
La France ne contestait pas ici cette position tenant à l’existence d’une garantie illimitée attachée au statut même d’établissement public que la Cour tient dorénavant pour acquise.
 

En revanche, après l’arrêt La Poste du 3 avril 2014 (CJUE, 3 avril 2014, C-559/12 P), les autorités françaises ont continué à contester le critère central nécessaire à l’identification d’une aide d’Etat, à savoir si cette garantie illimitée était de nature à procurer un "avantage" à ses bénéficiaires et si oui dans quelles proportions.

Présomption d’avantage sélectif et donc d’aide d’Etat au profit des établissements publics - Dans l’affaire La Poste, la CJUE n’avait eu à se prononcer que sur les conséquences d’une telle garantie en termes d’accès aux marchés financiers puisque c’est exclusivement sur cet argument que la Commission avait fondé sa décision. La Commission, approuvée par la Cour, avait estimé que la garantie implicite et illimitée de l’Etat au profit des établissements publics pouvait leur conférer un avantage en les faisant bénéficier de conditions de financement sur le marché plus avantageuses, du fait de leur garantie de solvabilité. La CJUE avait alors précisé que cet avantage pouvait être établi par la Commission par voie de présomption et qu’il appartenait à l’Etat membre, pour écarter la qualification d’aide, de rapporter la preuve qu’en pratique l’établissement en question n’avait pas bénéficié de conditions plus avantageuses d’accès au crédit qu’une entreprise privée concurrente.
 
Dans la décision IFP, la Commission avait appliqué cette présomption à toutes les relations commerciales de l’établissement en estimant que l’avantage était présumé s’étendre aux relations avec les fournisseurs et les clients. Le Tribunal de l’Union européenne (TUE) avait censuré cette analyse excluant, par principe, qu’une telle présomption puisse jouer, ce qui impliquait que la Commission démontre concrètement en quoi le statut d’établissement public avait favorisé les relations commerciales de l’entité concernée (TUE, 26 mai 2016, T-479/11 et T-157/12).  
 
Aujourd’hui, la CJUE adopte une position plus nuancée : la présomption d’avantage peut jouer y compris dans les relations avec les clients et fournisseurs mais, pour pouvoir l’appliquer, la Commission doit vérifier au préalable si les comportements des acteurs sur le marché concerné justifient une telle hypothèse. Il s’agit donc d’une exigence moins stricte que celle de rapporter la preuve concrète des avantages et de leur ampleur, qui peut reposer sur une appréciation globale du marché sur lequel l’entreprise évolue rendant simplement plausible le fait que son statut lui confère un avantage.
 
Présomption non limitée dans le temps - Cet arrêt apporte également des précisions importantes sur la portée temporelle de la présomption. En effet, dans sa décision d’origine concernant l’IFP, la Commission avait imposé à l’Etat français de mettre en place un suivi des conditions de financement de l’IFP permettant de vérifier, pour l’avenir, qu’il ne bénéficierait pas de conditions de crédit plus favorables. En effet, pour prévenir tout avantage indu engendré par son statut d’EPIC sans pour autant renoncer à ce statut, l’IFP s’était engagé à inscrire dans tous ses contrats de financement, mais également dans ceux avec ses clients et fournisseurs, une mention expresse selon laquelle il ne bénéficiait d’aucune garantie de l’Etat. La Commission avait admis qu’une telle mesure pouvait, en partie, répondre à ces préoccupations mais avait également imposé un suivi concret des conditions de financement de l’IFP permettant de s’assurer qu’il ne subsistait, en pratique, aucun avantage.
 
Le TUE avait également censuré cette approche en considérant que les exigences de la Commission n’étaient pas fondées puisque, si l’Etat parvenait à démontrer, sur une période passée, l’absence d’avantage, la présomption ne pouvait alors plus jouer pour l’avenir.
 
Là encore, la CJUE adopte une approche plus nuancée selon laquelle la seule circonstance que l’Etat membre puisse démontrer que le bénéficiaire n’a pas, par le passé, tiré d’avantage économique réel de son statut d’EPIC ne suffit pas à écarter cette présomption pour l’avenir.
 
Questions sur l’organisation des activités des établissements publics - La position de la CJUE suscite un certain nombre de questions quant aux risques encourus par les établissements publics au regard de leurs activités concurrentielles.
 
En effet, la solution qui résultait de l’arrêt du Tribunal permettait de considérer qu’un établissement public pouvait continuer à exercer des activités concurrentielles dès lors qu’il était établi qu’il ne bénéficiait pas de conditions de crédit plus favorables, cette preuve pouvant être rapportée par l’examen des conditions de financement passées de l’entité concernée.
 
Aujourd’hui, la position de la CJUE fait peser un risque plus important sur les activités des établissements publics puisque, pour écarter tout débat lié à l’existence d’aides d’Etat, non seulement il convient de rapporter la preuve que ces établissements publics ne bénéficient d’aucun avantage ni dans leurs relations avec les établissements financiers ni dans celles avec leurs clients et fournisseurs, mais également de s’assurer que cette absence d’avantage perdure au fil du temps.


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Cet article a été publié dans notre Lettre des régulations d’octobre 2018Cliquez ci-dessous pour découvrir les autres articles de cette lettre.

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Claire Vannini
Associée
Paris