Une fois n’est pas coutume, ce qui peut paraitre évident ne l’est pas toujours et le gouvernement français peut s’appuyer sur le Conseil d’Etat pour rappeler certaine évidence.
Il en est ainsi de l’avis adopté par le Conseil d’État dans son Assemblée générale du jeudi 23 janvier 2025 (l’ « Avis ») confirmant qu’en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, les personnes soumises au régime de lutte contre le blanchiment de capitaux et visées à l'article L. 561-2 du code monétaire et financier (le « CMF ») (les « Assujettis ») sont bien tenues de déclarer leur soupçon concernant toutes les infractions passibles d’une peine privative de liberté supérieure à un an et pas seulement les soupçons concernant l’infraction de blanchiment.
En l’espèce, l’article L. 562-15 du CMF dispose que
« Les personnes [soumises à la règlementation relatives à la lutte contre le blanchiment (les « Assujettis ») sont tenues, dans les conditions fixées par le présent chapitre, de déclarer au service mentionné à l'article L. 561-23 les sommes inscrites dans leurs livres ou les opérations portant sur des sommes dont elles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu'elles proviennent d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou sont liées au financement du terrorisme ».
Certains Assujettis soutenaient, selon l’Avis, que
« l’obligation déclarative [est] limitée aux seules infractions de blanchiment de sommes issues d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an, ou liées au financement du terrorisme. »
L’enjeu était de taille car une telle interprétation aurait eu pour effet/conséquence d’exclure du champ de l’obligation déclarative les soupçons portant sur l’existence d’une infraction dès lors que les sommes issues de celle-ci ne font pas, par ailleurs, l’objet d’une opération de blanchiment. A ce titre, une situation de fraude fiscale « classique » ne relèverait pas d’une situation requérant, à suivre une telle interprétation, la nécessité d’une déclaration de soupçon...
Sans réelle surprise, le Conseil d’Etat confirme que l’obligation déclarative visée à l’article L. 561-15 du CMF porte aussi bien sur les sommes obtenues par la commission d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an, quelle que soit la nature de cette infraction, que sur les opérations portant sur ces sommes, ces dernières pouvant, le cas échéant, traduire des faits de blanchiment.
Une question demeure toutefois à la lecture de cet Avis et de la relative indépendance dont dispose encore la France dans son interprétation des règles européennes concernant le régime de lutte contre le blanchiment et des procédures de déclaration associées. Qu’en sera-t-il demain avec l’adoption du Règlement (UE) 2024/1620 du 31 mai 2024 instituant nouvelle « Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme » (« ALBC ») ?
En effet, comme l’Autorité européenne des marchés financiers en matière de services d’investissement ou l’Autorité bancaire européenne en matière bancaire, la nouvelle autorité disposera d’un pouvoir d’orientations et d’interprétations et même d’un pouvoir de sanction. Et elle sera établie à Francfort-sur-le-Main, en Allemagne. Au prisme des expériences acquises avec les autres régulateurs européens, il n’est pas certain que le gouvernement français, et le Conseil d’Etat, disposeront encore d’une grande autonomie d’interprétation des normes en matière de lutte contre le blanchiment.
Artcile publié dans option finance le 20 février 2025