Home / Actualités / Exclusion automatique des marchés publics en raison...

Exclusion automatique des marchés publics en raison de certaines infractions pénales

les parades

02/02/2022

Le Code de la commande publique prévoit une exclusion de plein droit des marchés publics ou des concessions en cas de condamnation définitive pour un certain nombre d’infractions, sans qu’il soit nécessaire que le juge pénal l’ait prononcée à titre de peine complémentaire lors de la condamnation. Au motif que ces dispositions sont issues du droit de l’Union européenne, le Conseil constitutionnel vient de s’estimer incompétent pour examiner leur constitutionnalité au regard des principes de nécessité et d'individualisation des peines. 

La sévérité de l’exclusion automatique au titre de certaines infractions pénales

Certaines condamnations pénales peuvent donner lieu à une exclusion automatique des marchés publics, sans même que le juge pénal ne soit amené à la prononcer (ce qu’il peut par ailleurs faire, plus largement, en application de l’article 131-39-5° du Code pénal).
 
Aux termes de l’article L.2141-1 du Code de la commande publique (CCP) sont de plein droit exclues de la procédure de passation des marchés publics les personnes qui ont fait l’objet d’une condamnation définitive – et donc non encore susceptible de recours – pour l’une des infractions listées par ledit article, ou pour leur recel. Cette exclusion touche l’opérateur économique même dans l’hypothèse où c’est un dirigeant de la personne morale qui a été condamné1, tant qu’il exerce ses fonctions. Une vision réaliste du pouvoir d’influence de la personne physique condamnée doit être adoptée : la mise en œuvre de montages qui ont pour objet ou pour effet de rendre opaque le pouvoir exercé par une personne directement concernée par l'interdiction ne saurait faire échec à l’application du texte2.
 
Sauf à ce que la décision de justice se soit prononcée sur le sujet, l’exclusion est de 5 ans à compter de la condamnation.
 
Les incriminations listées par l’article sont nombreuses. Il s’agit, à grands traits : de la participation à une association de malfaiteur, de la corruption, de la concussion, du trafic d’influence, de la prise illégale d’intérêt, du délit de favoritisme, du détournement de fonds publics, des sanctions pénales relatives au recouvrement de l’impôt, de l’escroquerie, de l’abus de confiance, du faux et de l’usage de faux, du terrorisme, du blanchiment, des infractions liées aux stupéfiants, à la traite des êtres humains3, etc. Les incriminations équivalentes prévues par la législation d’un autre Etat membre de l’Union européenne sont également concernées.
 
L’article L.3123-1 du CCP prévoit un dispositif similaire au titre de l’exclusion de la procédure de passation des concessions.
 
Cette mesure "de police et de sûreté"4 est susceptible d’avoir des conséquences très lourdes et disproportionnées pour les entreprises : là où une condamnation à quelques milliers d’euros peut être prononcée par le juge, le CCP prévoit une exclusion automatique de toute candidature à des marchés publics et des concessions pendant 5 ans, ce qui peut priver un opérateur économique de son activité principale, voire exclusive.
 
On notera par ailleurs que si le CCP prévoit quelques exceptions aux cas d’exclusion de plein droit, elles sont d’application très stricte. L’article L. 2141-6 du CCP dispose en effet que "l’acheteur peut, à titre exceptionnel, autoriser un opérateur économique qui serait dans un cas d’exclusion prévu à la présente section à participer à la procédure de passation d’un marché public, à condition que cela soit justifié par des raisons impérieuses d’intérêt général, que le marché public en cause ne puisse être confié qu’à ce seul opérateur économique et qu’un jugement définitif d’une juridiction d’un Etat membre de l’Union européenne n’exclut pas expressément l’opérateur concerné des marchés publics". Compte tenu de conditions limitatives à respecter pour pouvoir bénéficier de cette exception, cette dernière ne peut s’appliquer que dans des cas très spécifiques.

Le refus d’un contrôle de constitutionalité

Légitimement, la question a pu alors se poser de la constitutionnalité de telles dispositions. Pourtant à deux reprises, la Cour de cassation avait refusé de transmettre des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), estimant qu’elles ne constituaient pas des mesures des sanctions ayant le caractère d’une punition5. Cependant, dans une nouvelle décision, elle a modifié son appréciation et a finalement transmis une QPC au Conseil constitutionnel6. La réponse apportée par le juge constitutionnel, qui semble botter en touche, pourrait laisser penser que le choses vont rester en l’état (décision n° 2021-966 QPC du 28 janvier 2022).
 
Le Conseil constitutionnel met en effet en œuvre sa jurisprudence en matière de contrôle des disposition issues du droit de l’Union européenne7. Il estime que les dispositions contestées des articles L.2141-1 et L.3123-1 du CCP visent à assurer la transposition des directives 2014/23/UE et 2014/24/UE relatives respectivement aux concessions et aux marchés publics. Selon lui, ces dispositions se bornent ainsi à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises de ces directives ; et son contrôle se limite dans cette hypothèse à protéger des règles ou principes ne trouvant pas de protection équivalente dans le droit de l'Union européenne, inhérents à l'identité constitutionnelle de la France. Or, il n’en distingue aucun dans ce cas précis.
 
De façon, à notre avis, peu satisfaisante, le Conseil constitutionnel parvient à une telle conclusion en interprétant strictement la question posée, alors même que le mécanisme issu des directives européennes a fait l’objet d’une transposition incomplète.

Une transposition imparfaite des directives, dont le rétablissement permet d’atténuer l’extrême rigueur des dispositions figurant actuellement au CCP

Les directives "marchés publics" (article 57.6) et "concessions" (article 38.9) ont prévu un mécanisme dit d’auto-apurement (self cleaning) qui permet à un candidat de prouver qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour que la cause de l’exclusion disparaisse et qu’il puisse être admis à soumissionner.
 
Or, par une décision du 11 juin 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé qu’"une règlementation nationale qui n’accorde pas à un opérateur économique condamné de manière définitive pour l’une des infractions visées à l’article 38, paragraphe 4, de cette directive et faisant l’objet, pour cette raison, d’une interdiction de plein droit de participer aux procédures de passation de contrats de concession sans avoir la possibilité d’apporter la preuve qu’il a pris des mesures correctrices susceptibles de démontrer le rétablissement de sa fiabilité" n’était pas conforme aux objectifs de la directive "concessions" (CJUE, 11 juin 2020, Société Vert Marine, aff. C-472/19, § 25).
 
Le Conseil d’Etat, qui ne dispose pas du pouvoir de censurer la loi, a tiré les conséquences de la décision de la CJUE en définissant, à titre transitoire, un régime juridique qui vient, selon nous, se substituer aux dispositions du CCP (CE, 12 octobre 2020, Société Vert Marine, n° 419146). Dans l’attente de l’édiction de textes compatibles avec le droit de l’Union européenne, le Conseil d’Etat a fait une application directe de la directive, estimant que "l’exclusion de la procédure de passation des contrats de concession prévue à l’article L.3123-1 du Code de la commande publique n’est pas applicable à la personne qui, après avoir été mise à même de présenter ses observations, établit dans un délai raisonnable et par tout moyen auprès de l’autorité concédante, qu’elle a pris les mesures nécessaires pour corriger les manquements correspondant aux infractions mentionnées au même article pour lesquelles elle a été définitivement condamnée et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du contrat de concession n’est pas susceptible de porter atteinte à l’égalité de traitement".

Il n’y a aucune raison que cette solution, rendue à propos des concessions mais sur le fondement de textes dont la rédaction est similaire à celle des marchés publics, ne s’applique pas dans le cadre de ces derniers. En cas de condamnation, il appartient donc aux opérateurs économiques de faire état, auprès des acheteurs et des concédants, des mesures d’auto-apurement prises, en s’inspirant des indications données par la directive elle-même (réparation, collaboration avec les autorités, mesures concrètes de nature technique et opérationnelle, etc.). Par ailleurs, il existe un mécanisme prévu par les textes pénaux, qui pourrait être actionné : l’opérateur économique pourrait solliciter auprès du juge pénal un relèvement de la sanction d’exclusion des marchés publics et ce, quand bien même ledit juge n’aurait pas expressément prononcé cette peine8.

Ainsi, à la lecture inquiétante des dispositions du CCP faisant état d’exclusions de plein droit quasiment inconditionnelles ne donnant pas prise à un contrôle de constitutionnalité, il convient d’opposer une vision en réalité plus pragmatique, mais qui suppose de prendre des mesures adaptées et suffisamment convaincantes pour les acheteurs (et, éventuellement, leur juge).

Il reste que le texte actuel n’est pas conforme au droit européen et que l’Etat français reste en infraction vis-à-vis de celui-ci, sans que la solution provisoire mise en place par le Conseil d’Etat puisse être considérée comme suffisante. De façon plus concrète, en attendant l’indispensable correction que la loi doit apporter, au plus vite, aux articles L.2141-1 et L.3123-1 du CCP, il serait sans doute opportun que le gouvernement donne des lignes directrices claires et précises aux acheteurs sur ce sujet.


1 Le texte cite "un membre de l'organe de gestion, d'administration, de direction ou de surveillance ou une personne physique qui détient un pouvoir de représentation, de décision ou de contrôle de la personne morale".
2 En ce sens, TA Lyon, ord. réf., 29 nov. 2016, n° 160811, Société R.
3 Articles 222-34 à 222-40, 225-4-1, 225-4-7, 313-1, 313-3, 314-1, 324-1, 324-5, 324-6, 421-1 à 421-2-4, 421-5, 432-10, 432-11, 432-12 à 432-16, 433-1, 433-2, 434-9, 434-9-1, 435-3, 435-4, 435-9, 435-10, 441-1 à 441-7, 441-9, 445-1 à 445-2-1 ou 450-1 du Code pénal, aux articles 1741 à 1743, 1746 ou 1747 du Code général des impôts.
4 Cass. crim., 20 décembre 2017, n° 17-90.018.
5 Cass. crim., 6 avril 2011, n° 11-90.009 et Cass. crim., 20 décembre 2017, précitée.
6 Cass. crim., 17 novembre 2021, n° 21-83.121.
7 Cons. Const., décision n° 2010-79 QPC du 17 décembre 2010, et pour une application récente : Cons. Const., décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021. Voir également sur le principe que la contrariété à une directive européenne ne relève pas de la QPC : Cons. Const, décision n° 2010-605 DC 12 mai 2010.
8 Cf. articles 132-21 alinéa 2 du Code pénal et 702-1 du Code de procédure pénale.

Ce texte est également publié sur le site du Moniteur des travaux publics.  


En savoir plus sur notre cabinet d'avocats :

Notre cabinet d'avocats est l’un des principaux cabinets d’avocats d’affaires internationaux. Son enracinement local, son positionnement unique et son expertise reconnue lui permettent de fournir des solutions innovantes et à haute valeur ajoutée dans tous les domaines du droit.

cabinet avocats CMS en France

A propos de notre cabinet d'avocats

expertise droit public - public law 330x220

Expertise : Droit public 

nous contacter 330x220

Nous contacter

Vos contacts

Portrait deFrancois Tenailleau
François Tenailleau
Associé
Paris
Portrait deThomas Carenzi
Thomas Carenzi
Counsel
Paris