La CJUE vient de reconnaître la possibilité d’un contrôle a posteriori (ex post), au niveau national, de certaines opérations de concentration sur le terrain de l’abus de position dominante (CJUE 16 mars 2023, aff. C-449/21 Towercast).
De l’extension du contrôle préalable …
Cette décision, qui rejoint les conclusions de l’avocate générale Kokott, intervient peu après l’extension inédite de l’arsenal du contrôle préalable (ex ante) des opérations de fusion/acquisition.
Cette extension s’est tout d’abord concrétisée avec la validation par le tribunal de l’UE, dans l’affaire Illumina/Grail, du recours à l’article 22 du règlement Concentrations 139/2004 pour autoriser une autorité nationale de concurrence (ANC) à saisir la Commission européenne d’une opération n’atteignant pas les seuils de chiffre d’affaires européens et nationaux, dès lors que cette opération affecte le commerce entre les Etats membres et menace d'affecter de manière significative la concurrence sur le territoire d’un ou plusieurs des Etats concernés (voir E. Flaicher-Maneval et V. Lorieul : « Contrôle des concentrations « sous les seuils » : le TUE lui aussi favorable ! » - Option Finance du 25/07/2022).
L’extension du contrôle s’est ensuite traduite par l’adoption du règlement 2022/2560 du 14 décembre 2022, qui autorise la Commission à remédier aux distorsions de concurrence occasionnées par les subventions d’Etats tiers à des entreprises participant à une opération de concentration dans l’Union européenne (voir E. Flaicher-Maneval et M. Bonnier : « Vers un contrôle européen des concentrations subventionnées par les pays étrangers » - Option Finance du 23/01/2023).
… à la (re)naissance d’un contrôle a posteriori
Aujourd’hui, après le changement de doctrine sur l’article 22, est affirmée la possibilité d’un contrôle ex post de certaines opérations qui auraient échappé aux nombreux filtres de la législation européenne ou nationale des concentrations, fondé sur le terrain de l’abus de position dominante.
Cette possibilité d’un contrôle ex post des concentrations sur le fondement de l’interdiction des abus de position dominante prévue par l’article 102 TFUE (effet direct) avait été reconnue par la CJUE dans l’affaire Continental Can (arrêt du 21/02/1973). La question se posait de savoir si l’adoption postérieure du règlement Concentrations 139/2004 n’avait pas, de fait, entraîné la caducité de cet arrêt ancien, rendu à une époque où aucune législation européenne n’encadrait les opérations de concentration par un contrôle ex ante.
La CJUE a donc répondu indirectement par la négative à cette question, à l’occasion d’une affaire relative à la prise de contrôle exclusif en 2016 par Télédiffusion de France (TDF), fournisseur principal en France des services de diffusion de la télévision numérique terrestre (TNT), de la société Itas, également active dans ce secteur. Leur concurrent Towercast estimait que cette acquisition qui, située en-dessous des seuils de contrôle européens et nationaux, n’avait fait l’objet ni d’une notification ni d’un contrôle préalable, ni même n’avait donné lieu à une procédure de renvoi article 22, constituait un abus de position dominante. Elle aurait, selon lui, entravé la concurrence sur les marchés de gros amont et aval de la diffusion de la TNT en renforçant significativement la position dominante de TDF sur ces marchés.
La CJUE s’est prononcée au terme du raisonnement suivant :
- C’est le droit procédural des Etats membres qui trouve à s’appliquer aux concentrations de dimension non communautaire. Les ANC et les juridictions nationales peuvent donc appliquer, à une opération de concentration n’atteignant pas les seuils européens et nationaux et n’ayant pas fait l’objet d’une procédure de renvoi article 22, l’interdiction des abus de position dominante posée par le droit de l’UE en raison de son effet direct. L’existence d’un acte de droit dérivé (règlement Concentrations) ne permet pas en effet d’écarter l’application directe d’une disposition du droit primaire (art. 102 TFUE).
- Bien que le règlement 139/2004 mette en place un contrôle ex ante des opérations de concentration de dimension communautaire, il n’exclut pas pour autant un contrôle ex post des opérations de concentration n’atteignant pas ce seuil. Ainsi, comme le précise la CJUE, « certaines concentrations peuvent, tout à la fois, échapper à un contrôle ex ante et faire l’objet d’un contrôle ex post ».
La CJUE a indiqué ensuite que le contrôle ex post d’une opération sous les seuils au regard de l’abus de position dominante impose à l’ANC saisie de vérifier si l’acquéreur qui est en position dominante sur un marché a, par la prise de contrôle d’une autre entreprise sur ce marché, entravé substantiellement la concurrence sur ledit marché. Le seul constat du renforcement de la position d’une entreprise ne suffit pas pour retenir la qualification d’un abus.
Restait à savoir si les ANC s’approprieraient cette nouvelle prérogative qui percute le travail de construction des droits nationaux des concentrations. L’Autorité belge de la concurrence ne s’est pas interrogée bien longtemps : elle a ouvert, dans la foulée de la décision de la CJUE, une instruction d’office concernant un possible abus de position dominante dans le cadre de la reprise d’un fournisseur belge de services de communication (communiqué du 22/03/23).
Article paru dans Option finance du 11/04/2023
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