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Mobilité inter-enseigne

Pacte de préférence et intuitu personae

27/04/2021

Le franchisé qui n’informe pas le franchiseur de la cession de la majorité de ses titres malgré un pacte de préférence et une clause d’intuitu personae stipulés dans le contrat de franchise manque à son obligation d’information.

Le cessionnaire des titres du franchisé engage sa responsabilité délictuelle pour complicité dès lors qu’il a participé au contournement du droit de préférence en connaissance de cause (Cass. com., 13 janvier 2021, n° 19-17.051).

Largement utilisés dans les contrats de franchise du secteur de la grande distribution, les pactes de préférence sont souvent confrontés à la question de leur efficacité, notamment lorsque leur rédaction n’est pas parfaite. 

Le contexte

Une société, dont le gérant est associé à 50 %, exploite un fonds de commerce dans le cadre d’un contrat de franchise de distribution alimentaire conclu en 1996, puis renouvelé en avril 2008, avec la société Casino. Le contrat de franchise est résilié en décembre 2013 par la société franchisée pour inexécution contractuelle du franchiseur.

Quelques jours après cette résiliation (qui sera ultérieurement annulée), le gérant et sa compagne cèdent l’intégralité du capital social de la société franchisée à la société Carrefour, entraînant un changement d’enseigne au profit de cette dernière.

En février 2014, la société Casino assigne la société franchisée, son gérant et la société Carrefour, notamment en paiement de dommages-intérêts pour violation du pacte de préférence et non-respect de la clause d’intuitu personae stipulés dans le contrat de franchise.

La cour d’appel de Paris accueille cette demande. Elle est approuvée par la Cour de cassation.

Manquement du franchisé à son obligation d’information

Le contrat de franchise stipulait dans son article 12 ("clause d’agrément et pacte de préférence") que "dans le cas où, pendant la durée du contrat, le franchisé souhaiterait céder son fonds de commerce ou tout ou partie des actions ou parts représentant le capital de sa société, il s'engageait à en informer le franchiseur et à lui communiquer le prix de cession projeté, étant convenu qu'à prix égal, le franchisé s'engageait à donner la préférence au franchiseur".

Son article 11 ("clause de personnalité") ajoutait que le contrat était conclu par le franchiseur "en considération expresse et déterminante de la personnalité du franchisé à savoir M. A..., de sa situation de dirigeant effectif de l'activité objet du contrat et le cas échéant, du contrôle qu'il détient de la majorité des parts ou actions et droits de vote de la société".

Les juges d’appel avaient déduit de l’application combinée de ces deux clauses que "le terme ‘franchisé’ stipulé dans le contrat vise indifféremment la société [...] et M. A..., à titre personnel, indissociablement liés dans l'exécution du contrat de franchise".

Ils estimaient par ailleurs, qu’en raison de la connaissance par la société franchisée de l’importance de la personne de son gérant pour le franchiseur, la combinaison de ces clauses visait à la "sauvegarde de l’intuitu personae" au sein de la société franchisée et mettait "à sa charge une obligation d'information préalable, quand bien même elle serait tiers à la cession des parts sociales".

Le raisonnement est validé par la Cour de cassation au nom de l’interprétation souveraine par les juges du fond des clauses du contrat, rendue nécessaire du fait de leur ambiguïté : "De ces constatations et appréciations, procédant de son interprétation souveraine des clauses du contrat, rendue nécessaire par leur ambiguïté, la cour d'appel a pu [...] déduire que, dans ces circonstances, il appartenait à la société [...] d'informer la société Casino de tout projet de cession, quand bien même elle était tiers à cette cession".

Observations : La Cour de cassation approuve ainsi une interprétation large du champ de la clause d’intuitu personae, appuyée sur son analyse à la lumière de la clause de préférence, parce les deux clauses poursuivent indirectement un même objectif de sauvegarde de l’intuitu personae au sein de la société franchisée. En effet, alors que la clause d’intuitu personae visait la personne du dirigeant de la société franchisée, en sa qualité de gérant effectif et de titulaire des parts (ou actions) et droits de vote de cette société, le pacte de préférence, stipulé dans le contrat de franchise au profit du franchiseur, désignait le franchisé, seul cocontractant du franchiseur. 

Or, la clause d’intuitu personae se référant à la personne du dirigeant ou de l’associé majoritaire du franchisé est somme toute classique dans un contrat de franchise, sa personnalité étant tout aussi importante pour le franchiseur, si ce n’est plus, que ne l’est la personne morale cocontractante elle-même. Mais le pacte de préférence litigieux contenait une ambiguïté rédactionnelle dénouée par les juges. En effet, si l’engagement du franchisé (personne morale distincte de ses associés) de réserver la préférence reconnue au franchiseur se conçoit aisément en cas de cession du fonds de commerce, il en va autrement lorsque la cession concerne tout ou partie des parts sociales de la société franchisée. Dans ce cas, le pacte de préférence ne saurait, évidemment, obliger la société franchisée, celle-ci n’étant pas titulaire des parts ou actions concernées. Seul le gérant et associé, titulaire desdites parts, peut souscrire un tel engagement de réserver la préférence. Aussi, l’apparente incohérence résultant d’une rédaction maladroite est surmontée par les juges du fond qui estiment que le terme de "franchisé" se rapportait indifféremment la société et son gérant (à titre personnel) "indissociablement liés en l'espèce dans l'exécution du contrat de franchise".

Pour autant, ce n’est pas cette assimilation qui conduit à la condamnation de la société franchisée pour violation du pacte de préférence ; c’est le manquement de cette dernière à son obligation d’informer le franchiseur "de tout projet de cession, quand bien même elle était tiers à cette cession". En revanche, l’attraction du gérant dans le champ du contrat de franchise et, partant, du pacte de préférence permet de poursuivre le cessionnaire des parts en qualité de complice de la violation, par la société franchisée, de ses obligations contractuelles.

Responsabilité délictuelle du cessionnaire des titres du franchisé pour complicité de contournement du droit de préférence du franchiseur

Il est de jurisprudence constante que le tiers acquéreur complice de la violation d’un pacte de préférence engage sa responsabilité civile délictuelle (Cass. 3e civ., 29 juin 2010, n° 09-68.110).

En l’espèce, la Cour de cassation estime que la Cour d’appel a retenu à bon droit que la société Carrefour, cessionnaire des titres du franchisé, avait engagé sa responsabilité délictuelle envers le franchiseur après avoir relevé que :

  • elle connaissait les dispositions du contrat de franchise litigieux ;
  • elle "avait connaissance, en sa qualité de professionnel aguerri de la grande distribution, de l'existence courante de ce type de droit de préemption, qu'elle incluait également dans ses propres contrats" ;
  • elle avait "elle-même contribué à la tentative de sortie de contrat réalisée par la société [tentative de résiliation du contrat de franchise par le franchisé], dans le dessein de contourner le droit de préemption de la société Casino".

En effet, il ressortait de ces constatations et appréciations que la société Carrefour avait "participé en connaissance de cause à la violation, par cette société, de ses obligations contractuelles".

Observations : De prime abord, on serait tenté de voir dans cette décision la reconnaissance d’une présomption de faute du cessionnaire "professionnel aguerri de la grande distribution", la complicité du tiers cessionnaire paraissant être déduite de sa qualité de distributeur concurrent du franchisé. Une telle lecture peut toutefois être discutée dans la mesure où la motivation de la complicité du cessionnaire est également étayée par la contribution de l’intéressé à la tentative du franchisé de sortie du contrat de franchise. 

En outre, reconnaître l’existence d’une telle présomption se heurterait, à l’évidence, à la tendance actuelle, tant législative que jurisprudentielle, consistant à favoriser la mobilité des acteurs du secteur de la distribution entre les différents réseaux en présence. Il n’en demeure pas moins que l’interprétation extensive des clauses contractuelles à laquelle se sont livrés les juges tend, en pratique, à limiter cette mobilité. Reste à savoir si cette position est annonciatrice d’une évolution en ce sens. Question à suivre.


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Lettre des affaires commerciales Mars 2019

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Elisabeth Flaicher-Maneval
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