Home / Actualités / Simplification : l’impact de la loi Asap sur la...

Simplification : l’impact de la loi Asap sur la commande publique

Marchés sans formalités, contrats globaux, dispositif de crise, etc., de nombreuses nouveautés viennent chambouler les règles du code

09/02/2021

Cet article a initialement été publié au Moniteur des travaux publics, le 10 décembre 2020.

La loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique (dite « Asap ») poursuivait, comme l’indique son titre, un objectif initial d’amélioration des procédures administratives de tous ordres. Elle concernait peu la commande publique. Au cours des débats parlementaires, en réaction à la crise sanitaire, un certain nombre de nouvelles dispositions ont cependant été intégrées. Estimant qu’il ne s’agissait pas de « cavaliers législatifs », le Conseil constitutionnel les a validées, tout en apportant certaines précisions (décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020).

Mesures temporaires applicables en cas de circonstances exceptionnelles

L’article 132 de la loi Asap introduit dans le Code de la commande publique deux nouveaux livres autorisant le gouvernement, en cas de circonstances exceptionnelles, à mettre en œuvre par décret des mesures dérogeant aux règles de passation et d’exécution des marchés publics et des concessions (articles L. 2711-1 et suivants et L. 3411-1 et s.).
Ces mesures ne peuvent être utilisées que lorsque, d’une part, il est fait usage de prérogatives prévues par une loi relative à de telles circonstances exceptionnelles, et que, d’autre part, celles-ci affectent les modalités de passation ou les conditions d’exécution des contrats de la commande publique. La durée d’application du décret ne peut excéder vingt-quatre mois, le législateur devant intervenir au-delà.

Pérenniser le dispositif de crise

L'article 132 de la loi Asap transcrit dans le code l’essentiel des dispositions temporaires de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020, modifiée, portant sur l’adaptation du régime des contrats publics à la crise sanitaire (1). L’objectif poursuivi est d’établir des mécanismes pérennes, permettant de réagir plus rapidement et plus efficacement à la survenance de circonstances exceptionnelles nouvelles.
Le dispositif adopté est de fait proche de celui prévu par l’ordonnance en termes d’adaptation des règles de passation, de prolongation des contrats ou des délais d’exécution, ainsi que de passation de marchés de substitution sans sanction du titulaire. En revanche, ne sont pas reprises les dispositions relatives à l’indemnisation des cocontractants, la suspension des concessions ou des redevances domaniales, ni celles relatives aux avances ; ce qui est sans doute logique dans ce dernier cas, compte tenu des récentes dispositions de nature réglementaire adoptées en la matière (décret n° 2020-1261 du 15 octobre 2020 relatif aux avances dans les marchés publics).

Mesures en faveur des entreprises en redressement judiciaire

Dans le prolongement cette fois-ci de l’ordonnance n° 2020-738 du 17 juin 2020 portant diverses mesures en matière de commande publique, aux effets là encore temporaires, la loi Asap renforce la protection des opérateurs économiques en redressement judiciaire, tant lors de la passation du marché ou de la concession que durant leur exécution.

Exception au motif d’exclusion lors de la passation

Lors de la passation, le Code de la commande publique faisait du redressement judiciaire de l’opérateur économique un motif d’exclusion, l’empêchant de se voir attribuer un marché (article L. 2141-3) ou une concession (article L. 3123-3), sauf à justifier d’avoir été habilité à poursuivre son activité pendant la durée d’exécution prévisible du contrat. L’article 131 de la loi Asap ajoute à cette première exception au motif d’exclusion une seconde concernant les entreprises bénéficiaires d’un plan de redressement. Il clarifie ainsi l’état du droit applicable et la distinction entre la période d’observation et la phase d’exécution du plan de redressement.
En effet, dans le premier cas, l’entreprise doit apporter la preuve que la durée de sa période d’observation, et donc de poursuite de son activité, couvre bien celle du marché. Dans le second, lorsque l’entreprise bénéficie d’un plan de redressement, elle peut soumissionner à un marché public sans considération de la durée du plan, ce qui avait, à dire vrai, déjà été acté par la doctrine administrative sur la base de la jurisprudence (QE n° 07669, rép. min. publiée au JO Sénat du 16 mai 2019, p. 2627, se fondant sur la décision CE, 25 janvier 2019, n° 421844, mentionnée aux tables du Recueil).

Protection supplémentaire lors de l’exécution

Lorsqu’un motif d’exclusion intervient au cours de l’exécution du marché ou de la concession, le contrat peut être résilié. Toutefois, le Code de la commande publique excluait ce dispositif en cas de redressement judiciaire, ce qui était conforme au droit des entreprises en difficulté. L’entreprise en redressement judiciaire bénéficie en effet du maintien des contrats en cours, sauf décision non équivoque de l’organe compétent de sa procédure collective. Le Code de la commande publique ajoutait néanmoins une condition, non prévue par le Code de commerce, en subordonnant ce maintien au fait que le titulaire ait informé l’acheteur ou le concédant sans délai de son changement de situation.
La loi Asap supprime cette condition et lui substitue uniquement celles du droit commun prévues à l’article L. 622-13 du Code de commerce : les contrats seront maintenus, sauf silence ou refus de l’administrateur judiciaire mis en demeure de poursuivre le contrat ou défaut de paiement de certaines créances exigibles au cours de la période d’observation. Les acheteurs et autorités concédantes devront dès lors être encore plus attentifs au suivi de la situation financière de leurs cocontractants.

Facilitation des marchés sans formalités et des avenants

L’article 131 de la loi Asap modifie les articles L. 2122-1 (marchés classiques) et L. 2322-1 (marchés de défense et de sécurité) du Code de la commande publique afin de permettre aux acheteurs de passer un marché sans publicité ni mise en concurrence, dans des cas où « un motif d’intérêt général » le justifie.

Prévoir de nouveaux cas dérogatoires

Comme l’a précisé la Direction des affaires juridiques de Bercy (2), il ne s’agit nullement d’autoriser les acheteurs à décider eux-mêmes de déroger aux procédures en fonction de leur propre appréciation des motifs d’intérêt général. Il ne s’agit pas non plus d’exclure l’application de l’ensemble des principes de la commande publique prévus à l’article L. 3 du code. Dans sa décision du 3 décembre 2020, le Conseil constitutionnel précise que ceux relatifs à l’égalité devant la commande publique et au bon usage des deniers publics devront s’appliquer. En revanche, les principes relatifs à la transparence et à la liberté d’accès, également constitutionnels (décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003), ne sont, assez logiquement, pas mentionnés puisqu’il est question d’une exception à la publicité et à la mise en concurrence.
L’article 131 constitue ainsi une habilitation permettant au pouvoir réglementaire de prévoir de nouveaux cas dérogatoires, dans le but de simplifier et accélérer la conclusion de certains marchés, notamment dans des secteurs confrontés à des difficultés économiques importantes ou constituant des vecteurs essentiels du plan de relance. Encore faudra-t-il démontrer, comme le précise le Conseil constitutionnel, que les règles de publicité et de mise en concurrence normalement applicables sont « manifestement contraires » aux motifs d’intérêt général considérés ; mais également, peut-on ajouter, que ces cas dérogatoires sont compatibles avec le droit de l’Union européenne. Concrètement, ils ne paraissent donc pouvoir concerner que des contrats inférieurs aux seuils d’application des directives marchés publics.

Tel est le cas d’ailleurs du rehaussement temporaire (jusqu’au 31 décembre 2022), à 100 000 euros HT, du seuil sous lequel des marchés de travaux peuvent être passés sans publicité ni mise en concurrence, aux termes de l’article 142 de la loi Asap. Mais là encore, comme le précise le Conseil constitutionnel dans sa décision du 3 décembre, cette dispense n’exonère pas les acheteurs publics du respect des exigences constitutionnelles d’égalité devant la commande publique et de bon usage des deniers publics.

Des contrats longs plus évolutifs

Enfin, l’article 133 de la loi prévoit que les contrats de la commande publique pour lesquels une procédure a été engagée avant le 1er avril 2016 – autrement dit, notamment, sous l’empire du Code des marchés publics – peuvent être modifiés sans nouvelle mise en concurrence, selon les règles du Code de la commande publique régissant la modification des contrats en cours d’exécution. Ce faisant, la loi Asap étend aux marchés publics, mais également aux marchés de partenariat et aux formules de partenariat public-privé préexistant à ces derniers, la règle déjà applicable aux concessions.

L’objectif recherché est que les acheteurs bénéficient de la possibilité de modifier les marchés publics conclus pour une durée longue, lorsqu’une telle modification est rendue nécessaire par des circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir (article R. 2194-5 du code), hypothèse couvrant les conséquences de la crise sanitaire actuelle. Cette mesure présente également l’avantage de clarifier la possibilité de modifier les marchés antérieurs à 2016 en vue de commander des travaux, fournitures ou services supplémentaires (art. R. 2194-2).

Nouvelle extension des marchés globaux et participation des PME

La loi Asap prévoit un nouveau cas de marché global sectoriel et une modification de l’un de ceux déjà existants.

Les contrats globaux ont le vent en poupe

Ainsi, son article 143 complète l’article L. 2171-4 du Code de la commande publique : un 5° (nouveau) prévoit la possibilité de recourir à ce type de marché pour la conception, la construction, l’aménagement, l’exploitation, la maintenance ou l’entretien des infrastructures linéaires de transport de l’Etat.
Son article 144, modifie, à nouveau, les dispositions relatives aux marchés globaux sectoriels auxquels la Société du Grand Paris peut avoir recours, prévues à l’article L. 2171-6 (la précédente modification datant de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019, dite « LOM »). Il s’agit notamment de permettre que les titulaires de ces contrats puissent participer à la construction et à la valorisation des immeubles connexes aux gares. Ces nouvelles extensions des marchés globaux, qui montrent leur succès, ne donnent lieu à aucune remarque du Conseil constitutionnel, alors même que ceux-ci constituent, dans une certaine mesure, des contrats dérogatoires au droit commun de la commande publique (décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003).

Le retour du quota de PME

Les marchés globaux visés à l’article L. 2171-1 du code, dont font partie ceux précités, voient d’ailleurs leur régime en matière d’accès des PME s’aligner sur celui des marchés de partenariat qui, comme on le sait, connaissent actuellement un succès beaucoup moins éclatant. L’article 131 de la loi Asap pérennise ainsi le dispositif prévu par l’ordonnance n° 2020-738 du 17 juin 2020 précitée. Il prévoit que le titulaire de ces marchés globaux doit confier à des PME ou des artisans une quote-part minimale des prestations, fixée par décret (l’ordonnance prévoyait 10%, comme pour les marchés de partenariat), cette quote-part constituant par ailleurs un critère d’attribution. Là encore le Conseil constitutionnel ne trouve apparemment rien à redire à ce quota de PME sous-traitantes, auquel, il y a quelques années, le Conseil d’Etat avait pourtant paru réticent (CE, 9 juillet 2007, n° 297711, publié au Recueil).

Prise en compte de la spécificité de certains opérateurs

L’article 141 prévoit qu’un acheteur peut réserver un marché (ou un lot) à la fois aux entreprises adaptées et aux structures d’insertion par l’activité économique - et non plus alternativement aux unes ou aux autres.

Enfin, l’article 140 dispose que les marchés de service ayant pour objet la représentation légale d’un client par un avocat et les prestations de conseil juridique s’y attachant, autrement dit le contentieux et le précontentieux, appartiennent désormais à la catégorie des « autres marchés », exclus de la plupart des règles de la commande publique. La loi Asap consacre donc, enfin, la transposition fidèle des directives européennes sur le sujet. Au-delà, à l’instar de leur mise à l’écart pour les marchés exclus des procédures de publicité et mise en concurrence rappelés ci-avant, on voit mal comment les principes de transparence et de liberté d’accès pourraient s’appliquer dans le cadre d’une relation intuitu personae et confidentielle entre l’avocat et son client, caractérisée par le libre choix de son défenseur et rendant difficile la description objective de la qualité attendue des services à fournir, telle que la jurisprudence européenne l’a reconnu (CJUE, 6 juin 2019, aff. C-264/18).


(1) François Tenailleau, «L’ordonnance « coronavirus », une gestion de l’extrême urgence», publié dans «Le Moniteur» du 10 avril 2020.
(2)
www.economie.gouv.fr/daj/mesures-commande-publique-du-projet-de-loi-asap-adoptees-en-premiere-lecture-lassemblee.


Ce qu’il faut retenir

- La loi Asap modifie le droit de la commande publique, en réaction à la crise sanitaire. Certaines mesures dérogatoires adoptées par ordonnance sont insérées dans le Code de la commande publique, et pourront être temporairement activées en cas de circonstances exceptionnelles.

- Un décret pourra prévoir de nouveaux cas de marchés sans publicité ni mise en concurrence pour des motifs d’intérêt général, et les marchés de travaux d’un montant inférieur à 100 000 € HT pourront être dispensés de formalités jusqu’au 31 décembre 2022.

- Les dispositions relatives aux modifications des contrats de la commande publique contenues dans le code sont applicables quelle que soit leur date de conclusion.

- Les marchés globaux connaissent de nouvelles extensions et ils doivent être en partie exécutés par des PME.


En savoir plus sur notre cabinet d'avocats :

Notre cabinet d'avocats est l’un des principaux cabinets d’avocats d’affaires internationaux. Son enracinement local, son positionnement unique et son expertise reconnue lui permettent de fournir des solutions innovantes et à haute valeur ajoutée dans tous les domaines du droit.

cabinet avocats CMS en France

A propos de notre cabinet d'avocats

expertise droit public - public law 330x220

Expertise : Droit public 

nous contacter 330x220

Nous contacter

Vos contacts

Portrait deFrancois Tenailleau
François Tenailleau
Associé
Paris