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La taxe sur les transactions financières à la française

06/03/2012


Sans attendre l’aboutissement de la directive européenne en préparation, la France entend soumettre à une taxe de 0,1 % les achats d’actions des grands émetteurs français effectués après le 31 juillet 2012

Anticipant sur l'adoption de la proposition de directive européenne, le gouvernement propose, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2012, l'instauration d'une taxe de 0,1 % sur les transactions financières qui se rapproche de la Stamp Duty Reserve Tax britannique, et de deux taxes de 0,01 % sur le high-frequency trading, d'une part, et sur les credit default swaps (CDS) souverains nus, d'autre part. Approuvées en première lecture par l'Assemblée Nationale le 15 février 2012, ces taxes sont appelées à s'appliquer à compter du 1er août 2012.

I. La taxe sur les transactions financières (TTF)

La taxe de 0,1 % porte sur toute acquisition à titre onéreux d'un titre de capital dès lors que ce titre est admis aux négociations sur un marché réglementé ou reconnu et qu'il est émis par une entreprise française dont la capitalisation boursière est supérieure à un milliard d'euros.

A. Le champ d'application de la TTF

Un titre de capital

Le texte vise à taxer l'acquisition d'un titre de capital au sens de l'article L. 212-1 A du Code monétaire et financier (CMF). Contrairement aux indications données par le rapport de la commission des finances de l'Assemblée nationale, sont ainsi visés, non seulement les actions (ordinaires ou de préférence), mais aussi les titres donnant ou pouvant donner accès au capital ou aux droits de vote (OC, ORA, OCEANE, obligations échangeables en actions, etc.). La taxe s'étend aux titres assimilés au sens de l'article L. 211-41 du CMF, c'est-à-dire les titres émis sur le fondement d'un droit étranger (hypothèse qui pourrait se rencontrer pour des titres obligataires donnant accès au capital) et les droits représentatifs d'un placement financier dans une société française. Ainsi la question se posera pour les American Depository Receipts (ADR) cotés aux Etats-Unis. Les obligations sèches sont, en revanche, exclues du champ de la taxe.

Un titre coté sur marché réglementé français ou européen ou sur un marché étranger reconnu

La taxe frappe les acquisitions portant sur un titre admis aux négociations sur un marché réglementé, au sens de la directive MIF 2004/39/CE : marché français (tel que le marché réglementé de NYSE Euronext à Paris) ou européen (tel que le London Stock Exchange). Les actions cotées sur un système multilatéral de négociation (MTF) tel qu'Alternext en France ou AIM au Royaume-Uni ne sont pas visées.

La taxe peut aussi atteindre un titre coté sur un marché étranger "reconnu", c'est-à-dire qui figure sur une liste arrêtée par le ministre chargé de l'économie. La liste des marchés concernés comprend essentiellement des marchés de matières premières, à l'exclusion actuellement des principaux marchés étrangers de titres. En revanche, dès lors qu'une action est cotée sur un marché réglementé ou reconnu, son acquisition sera taxable même si elle est exécutée sur un marché qui ne serait lui-même ni réglementé ni reconnu.

Un titre d'un émetteur français ayant une capitalisation boursière supérieure à un milliard d'euros

Le champ d'application territorial de la taxe est déterminé par référence au siège de la société : la taxe est due si l'émetteur a son siège social en France. L'acquisition d'actions cotées à Paris d'une société ayant son siège hors de France ne sera donc pas soumise à la taxe. Le lieu d'établissement de l'acquéreur ou de l'intermédiaire financier exécutant l'ordre est indifférent. La taxe est cantonnée aux titres de sociétés dont la capitalisation dépasse un milliard d'euros au 1er janvier de l'année d'imposition, seuil qui correspond au compartiment A du marché réglementé de NYSE Euronext à Paris. Un arrêté ministériel les désignera chaque année.

Transfert de propriété

Pour que la taxe soit due, l'acquisition doit être effectuée à titre onéreux (une distribution gratuite d'actions ne sera donc pas concernée). La taxe embrasse les achats prenant la forme de l'exercice d'une option, d'un achat à terme, d'un échange ou d'une attribution en contrepartie d'apports. Il importe toutefois que l'opération donne lieu à un transfert de propriété au sens de l'article L. 211-7 du CMF, c'est-à-dire à l'inscription du titre sur le compte de l'acquéreur, et c’est cet événement qui constituera le fait générateur de l’impôt. Les instruments financiers à terme dénoués exclusivement en numéraire ne seront donc pas taxables.

Base d'imposition

Il s’agit de la valeur d'acquisition du titre.

B. Les opérations exonérées de TTF

Sont exonérés de la taxe :

  • les achats réalisés dans le cadre d'une émission de titres (marché primaire), exonération qui couvre tant la souscription initiale que les achats effectués dans le cadre d'un contrat de prise ferme ou de placement garanti,
  • les opérations réalisées par une chambre de compensation ou un dépositaire central,
  • les acquisitions réalisées dans le cadre d'activités de tenue de marché, ce qui permettrait d'exonérer les acquisitions réalisées par un market maker lorsqu'il procède à la communication simultanée de cours acheteurs et vendeurs pour apporter de la liquidité, à l'exécution des ordres donnés par ses clients dans le cadre de son activité habituelle, ou à la couverture des positions associée à ces opérations,
  • les acquisitions réalisées dans le cadre d'un contrat de liquidité,
  • les transactions intragroupes,
  • les cessions temporaires (pensions et prêts de titres),
  • les acquisitions (comprenant les rachats de titres propres) réalisées au titre de l'épargne salariale.

C. Le paiement de la TTF

Perçue comme en matière de TVA, la taxe est exigible le premier jour du mois suivant celui au cours duquel s'est produite l'acquisition. Le redevable est le prestataire de services d'investissement (PSI) ayant exécuté l'ordre d'achat du titre ou ayant négocié pour son compte propre.

Son versement au Trésor est assuré par le dépositaire central teneur du compte d'émission, c'est-à-dire principalement Euroclear France, qui prélèvera la somme correspondante sur le compte de chaque PSI adhérent après que celui-ci aura transmis à Euroclear France les informations nécessaires à la déclaration et au paiement (numéro et date des ordres, désignation du titre, du nombre de titres et de leur valeur, montant de la taxe due et mention des opérations exonérées). Les PSI devront adapter leurs systèmes d'information à cette nouvelle contrainte déclarative.

Outre l'intérêt de retard, des sanctions spécifiques frapperont le PSI en cas défaut de déclaration (majoration de 40 % avec un minimum de 1 000 euros), de retard de déclaration (majoration de 20 % avec un minimum de 500 euros) ou à raison des inexactitudes ou omissions commises sur ses déclarations (150 euros par infraction dans la limite de 40 % de la taxe omise), de même que le défaut de déclaration ou les omissions commis par Euroclear France (20 000 euros et 150 euros par omission dans la limite de 20 000 euros).

II. Les taxes frappant des opérations spéculatives

Sont parallèlement instituées deux taxes dissuasives portant sur des opérations spéculatives.

La taxe sur les transactions à haute fréquence (high-frequency trading) vise les opérations portant sur des titres de capital lorsqu'elles sont effectuées par une entreprise exploitée en France dans le cadre d'une activité consistant à adresser des ordres en ayant recours à un mécanisme de traitement automatisé caractérisé par l'envoi, la modification ou l'annulation d'ordres successifs sur un titre donné avec des temps de latence extrêmement réduits. Ne sont pas concernés les systèmes utilisés aux fins d'optimiser les conditions d'exécution d'ordres ou d'acheminer des ordres vers une ou plusieurs plateformes de négociation ou pour confirmer des ordres. La taxe sera due lorsque le taux d'annulation ou de modifications d'ordres passés sur de tels titres dépasse un seuil qui ne pourra être inférieur aux deux-tiers au cours d'une même journée de bourse et elle représentera 0,01 % du montant des ordres annulés ou modifiés au-delà du seuil.

La seconde taxe frappera les personnes physiques domiciliées en France, les entreprises exploitées en France et les entités juridiques établies ou constituées en France sur leurs achats d'instruments dérivés servant au transfert du risque de crédit (credit default swaps – CDS) d'un Etat de l'Union Européenne. Son taux est fixé à 0,01 % du montant notionnel du contrat. La taxe ne sera toutefois pas due si le bénéficiaire du CDS détient une position longue sur la dette de l'Etat concerné ou détient des actifs ou a contracté des engagements dont la valeur est corrélée à la valeur de la dette de cet Etat. Ainsi, le porteur d'OAT ou d'obligations émises par une entité publique française dont le risque de crédit est directement corrélé au risque de crédit de l'Etat Français devrait pouvoir y échapper si les CDS portant sur l'Etat Français qu'il détient ont un montant notionnel inférieur ou égal à la valeur de ses OAT et obligations.

III. L'allégement parallèle du droit de mutation sur les cessions d'actions

Les aménagements apportés fin 2011 à l'article 726 du CGI ont abouti à ce que, depuis le 1er janvier 2012, le droit frappant les cessions d'actions ne comporte plus de plafond (il était jusqu'en 2011 limité à 5 000 euros par mutation) mais se trouve corrélativement écarté sur certaines opérations telles que les rachats d'actions propres ou les cessions de titres réalisées au sein d'un groupe intégré. La mise en place de la taxe sur les transactions financières fournit l'occasion d'un rééquilibrage. A compter du 1er août 2012, le tarif du droit sera ramené à 0,1 % (ce qui équivaut pratiquement à une division par 5) et son exigibilité sera écartée sur les achats relevant de la future TTF.


Par Elisabeth Ashworth et Jean-Yves Mercier, avocats associés,
et Marc-Etienne Sébire, avocat Responsable Marché de Capitaux,

Article paru dans la revue Option Finance du 27 février 2012

Auteurs

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Elisabeth Ashworth
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Paris
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Marc-Etienne Sébire
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