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Légalité du décret du 12 mars 2014 sur le stockage de gaz naturel

11/10/2018

Alors que la réforme du stockage de gaz naturel est achevée (voir la Lettre des régulations de février et mai 2018), le Conseil d’Etat a statué le 18 juillet 2018 sur deux requêtes déposées par Eni et l’Uprigaz à l’encontre du décret n° 2014-328 du 12 mars 2014 modifiant le décret n° 2006-1034 du 21 août 2006 relatif à l'accès aux stockages souterrains de gaz naturel (CE, 18 juillet 2018, 380091 et 380336).

Il faut rappeler que, par une unique décision avant dire droit rendue dans ces deux instances le 15 avril 2016, le Conseil d’Etat avait saisi la Cour de justice de l’Union européenne de deux questions préjudicielles.

La première portait sur la possibilité d’imposer "aux fournisseurs de gaz naturel des obligations supplémentaires résultant de l'inclusion parmi les ’clients protégés’, dont la consommation contribue à définir le périmètre des obligations de stockage visant à assurer la continuité de l'approvisionnement", de clients qui ne sont pas mentionnés comme "protégés" par le règlement 994/2010 du 20 octobre 2010.

La seconde consistait à savoir si un Etat membre peut imposer "aux fournisseurs de gaz naturel des obligations portant sur les volumes de gaz stockés et les débits de soutirage assortis, ainsi que sur la détention de capacités de stockage acquises au titre des droits correspondant à l'obligation de détention des stocks sur le territoire de cet Etat membre, tout en prévoyant que le ministre, dans son appréciation des capacités de stockage détenues par un fournisseur, tient compte des autres instruments de modulation dont celui-ci dispose".

Par un arrêt rendu le 20 décembre 2017 (C-226/16), la Cour de justice a d’abord constaté que la France a étendu la notion de clients protégés ; elle a cependant laissé au Conseil d’Etat le soin de déterminer si l’Etat peut prévoir des obligations de stockage de gaz afin de sécuriser la fourniture de ces clients non protégés. La Cour a en revanche considéré qu’imposer aux fournisseurs des obligations de stockage de gaz en France – et non sur le territoire de l’Union – était incompatible avec l’article 8(5) du règlement de 2010 – sauf le cas où ces obligations ne pourraient être assurées au niveau "régional" ou à celui de l’Union.

Dans sa décision du 18 juillet 2018, le Conseil d’Etat a pourtant écarté l’ensemble des moyens invoqués par les requérantes, ce qui l’a conduit à rejeter les requêtes.

S’agissant de la définition élargie des clients protégés, le Conseil d’Etat a considéré que l'obligation supplémentaire mise à la charge des fournisseurs reposait sur l'évaluation des risques affectant la sécurité d'approvisionnement en gaz de la France et figurait dans le plan d'action préventif notifié à la Commission européenne le 24 avril 2013. Cette obligation qui était ainsi, selon le Conseil d’Etat, clairement énoncée dans des dispositions législatives et réglementaires, s'appliquait à l'ensemble des fournisseurs de gaz naturel. La Haute juridiction énonce enfin que l’obligation était justifiée, comme le précisent le plan d'action préventif et le plan d'urgence, par des raisons techniques et organisationnelles liées, d’une part, aux difficultés de mettre en place un dispositif fiable et contrôlable permettant d'identifier préalablement les sites raccordés aux réseaux de distribution par taille d'entreprise conformément à la définition retenue par le règlement et, d’autre part, aux risques pesant sur l'approvisionnement de l'ensemble des consommateurs, y compris les ménages ou les services sociaux essentiels, en cas de délestages sélectifs.

Le Conseil d’Etat a estimé en conséquence que cette définition élargie des clients protégés était claire, transparente, proportionnée, non discriminatoire et contrôlable, qu’elle ne pouvait être regardée comme faussant indûment la concurrence ou entravant le fonctionnement efficace du marché intérieur du gaz et, enfin, qu’elle ne compromettait pas davantage la solidarité européenne et la coopération transfrontalière, dès lors que les autorités françaises avaient prévu la possibilité d'adopter, de manière temporaire, des mesures d'assouplissement des obligations de service public en cas de déclenchement d'une urgence au niveau régional ou à l’échelle de l'Union européenne, comme cela est indiqué dans le plan d'action préventif et selon les modalités précisées dans le plan d'urgence.

Par ailleurs, la compatibilité avec le marché intérieur de l’obligation de stockage renforcée a également été admise, dans la mesure, d'une part, où elle était limitée par le décret du 12 mars 2014 à 80 % de la somme des droits de stockage des fournisseurs (en volume utile et en débit de soutirage) et où, d'autre part, le ministre devait tenir compte des autres instruments de modulation dont dispose chaque fournisseur. Pour le Conseil d’Etat, ces dernières dispositions devaient être entendues comme permettant aux fournisseurs de justifier qu'ils satisfont à leurs obligations de stockage au niveau régional ou au niveau de l'Union européenne.

Le Conseil d’Etat a donc utilisé les marges de manœuvre a priori limitées que la Cour de justice lui avait consenties dans son arrêt du 20 décembre 2017, en effectuant en outre une interprétation neutralisante de l’obligation de stockage renforcée.

Pour mémoire, le règlement 994/2010 du 20 octobre 2010 a été abrogé et remplacé par le règlement 2017/1938 du 25 octobre 2017 concernant des mesures visant à garantir la sécurité de l'approvisionnement en gaz naturel. Les dispositions de l’article L.421-4 du Code de l’énergie, base légale du décret attaqué, ont été remplacées par celles issues de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017, qui a organisé la réforme de la régulation du stockage de gaz naturel. Ces décisions juridictionnelles sont ainsi sans incidence sur le droit positif.


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Cet article a été publié dans notre Lettre des régulations d’octobre 2018Cliquez ci-dessous pour découvrir les autres articles de cette lettre.

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