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Prêts intra-groupe : Des avancées sur la preuve du taux d’intérêt de marché

02/10/2019

Pour échapper à des redressements fiscaux significatifs, les entreprises doivent prouver que les taux d’intérêt pratiqués sur les prêts intragroupes sont des taux d’intérêt de marché. Les exigences de l’administration fiscale et de certaines juridictions empêchaient en pratique d’apporter une telle preuve. Par un avis du 10 juillet 2019, le Conseil d’Etat apporte une souplesse bienvenue en la matière.

La preuve du taux d’intérêt de marché : un enjeu fiscal significatif

Alors que le taux d’un financement bancaire sera par principe considéré comme justifié et reflétant le risque pris par le créancier, un soupçon fiscal pèse sur le taux fixé dans le cadre d’un financement intragroupe.

Les intérêts versés par une société au titre d’un emprunt souscrit auprès d’une société liée sont en effet déductibles dans la limite du taux de référence prévu par l’article 39, 1-3e du Code général des impôts (CGI), ou, s’il est supérieur, au « taux que cette entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues » (article 212-I du CGI).

Dans un contexte de taux bas, et où le dernier taux de référence de l’article 39,1-3e publié s’élève à 1,36%[1] (soit « la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement pour des prêts à taux variables aux entreprises, pour une durée initiale supérieure à deux ans »), l’emprunteur doit prouver que le taux intragroupe pratiqué est comparable au taux de marché qui aurait été obtenu auprès d’un établissement financier indépendant.

De nombreux redressements et contentieux fiscaux se sont noués autour de la preuve d’un tel taux de marché, s’agissant bien souvent de prêts contractés dans des contextes de LBO à des taux significativement plus élevés que le taux de référence.

Alors que les entreprises entendaient justifier les taux pratiqués par des analyses économiques et financières, fondées notamment sur le marché obligataire, l’administration fiscale, suivie par certaines juridictions[2], exigeait la production d’une offre bancaire ferme pour un prêt similaire au financement intragroupe mis en place.

Dès lors que la production d’une offre ferme implique un processus interne lourd de la part de la banque (décision d’un comité de crédit, notamment), une telle offre ne pouvait en pratique être obtenue par les contribuables dans un but uniquement documentaire. De ce fait, la position de l’administration fiscale mettait les contribuables dans l’impossibilité d’apporter la preuve exigée.

Une référence affirmée au principe de pleine concurrence…

Dans son avis rendu le 10 juillet 2019, le Conseil d’Etat précise que « le taux que l’entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues s’entend du taux que de tels établissements ou organismes auraient été susceptibles, compte tenu de ses caractéristiques propres, notamment de son profil de risque, de lui consentir pour un prêt présentant les mêmes caractéristiques dans des conditions de pleine concurrence » (CE, 10 juillet 2019, n° 429426, SAS Wheelabrator Group).

Ce faisant, le juge administratif replace l’analyse de prix de transfert au cœur de la démarche probatoire. Cette position est au demeurant cohérente avec les travaux parlementaires ayant conduit à l’adoption de l’article 212-I du CGI qui faisaient référence au principe de pleine concurrence et aux travaux de l’OCDE en la matière.

De plus, le Conseil d’Etat confirme que la preuve du taux peut être apportée par tout moyen, ce qui balaie les prétentions de l’Administration d’exiger une offre bancaire ferme comme seul justificatif probant.

… qui implique la préparation d’une documentation adéquate

S’agissant des moyens de preuve, si le Conseil d’Etat ne fixe pas de grille d’analyse, il apporte néanmoins quelques indices confortant la méthodologie généralement appliquée pour la recherche des comparables permettant de déterminer le taux qui aurait été consenti par un organisme financier indépendant.

En effet, si ce taux ne peut être fixé par référence directe à un emprunt obligataire qui aurait été émis par l’entreprise, l’évaluation d’un taux de marché peut, selon le Conseil d’Etat, « tenir compte du rendement d’emprunts obligataires émanant d’entreprises économiques comparables, lorsque ces emprunts constituent, dans l’hypothèse considérée, une alternative réaliste à un prêt intragroupe ».

  • En réalité, il convient de réaliser une véritable étude de « prix de transfert », pour chaque financement intragroupe mis en place, en deux étapes :

1. Il faut tout d’abord déterminer le scoring de l’entreprise emprunteuse

La prise en compte des caractéristiques propres et du profil de risque de l’entreprise correspond à la première étape de l’analyse couramment pratiquée en matière de prix de transfert, dont la pertinence nous semble validée par le Conseil d’Etat. Il s’agit en effet de déterminer le scoring de l’entreprise, opération similaire à l’évaluation du risque de crédit qui serait réalisée par une banque, sans pour autant que l’entreprise n’ait à obtenir en tant que telle une notation par une agence internationale. On soulignera à cet égard que le risque de l’entreprise ne peut être simplement défini par référence au risque du groupe auquel cette entreprise appartient[3].

2. Puis rechercher des financements accordés à des entreprises comparables

La deuxième étape de l’analyse consiste, pour un type de financement donné (date d’émission, devise, maturité, degré de subordination etc.), et des entreprises dont les scorings sont similaires, à rechercher les taux pratiqués sur des instruments financiers obligataires afin de déterminer un intervalle de taux de pleine concurrence.

La fixation du taux d’un prêt intragroupe dans cet intervalle de pleine concurrence serait alors justifiée, l’administration fiscale conservant la possibilité de contrôler la qualité des comparables retenus et des ajustements pratiqués, voire de soulever la question de savoir si les emprunts obligataires constituent, au cas particulier, une alternative réaliste à un prêt intragroupe.

  • Et la préparation de cette étude prix de transfert doit être anticipée.

A noter enfin que si cette documentation des taux d’intérêt sur les prêts intragroupe peut s’insérer dans le cadre de la documentation des prix de transfert qui doit être préparée par les entreprises membres d’un groupe de taille importante, elle sera nécessairement spécifique pour les petits acteurs ne relevant pas de cette obligation générale. Dans l’idéal, cette documentation sera contemporaine de la mise en place du financement. Mais l’exercice se conçoit aussi lors d’un contrôle fiscal, ou pour anticiper un tel contrôle.


[1] Pour les entreprises dont l’exercice de douze mois est clos entre 31 août 2019 et le 29 septembre 2019

[2] TA Paris, 30 janvier 2018, n° 1707553, SAS Studialis

[3] Cf. CE, 18 mars 2019, n° 411189, société Siblu


Prêt intragroupe

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Cet article a été publié dans la Lettre du Financement pour les entreprises d’Octobre 2019. Cliquez ci-dessous pour retrouver les autres articles de cette lettre.

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Jean-Hugues de la Berge
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