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Responsabilité du fait des produits défectueux

Lettre affaires commerciales | Mars 2019

28/03/2019

Le régime de responsabilité des produits défectueux est encadré par le droit européen depuis 1985. Il est transposé en droit français depuis 1998. Si sa logique est claire, il pose néanmoins, encore aujourd’hui, de nombreuses questions sur lesquelles il est utile de revenir.

L’origine du régime

Figurant aux articles 1245 à 1245-17 du Code civil, le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux prend en très grande partie sa source dans la directive 85/374 du 25 juillet 1985, transposée en droit français par la loi n° 98-398 du 19 mai 1998.

Les spécificités du régime de responsabilité du fait des produits défectueux

L’originalité de ce régime de responsabilité vient du fait qu’il s’agit d’une responsabilité objective et extracontractuelle.

D’une part, la faute du producteur n’a pas à être rapportée. Il suffit que la victime démontre son dommage, le défaut de sécurité du produit, le lien de causalité entre son dommage et le défaut de sécurité du produit pour que la responsabilité du producteur ou du producteur assimilé soit retenue. Ainsi, lorsque ces conditions prévues par l’article 1245-8 du Code civil sont satisfaites, la responsabilité du producteur est engagée de plein droit, puisqu’il s’agit d’une responsabilité objective. L’article 1245-10, qui énonce les causes d’exonération de responsabilité, pose le principe que « Le producteur est responsable de plein droit, à moins qu’il ne prouve … ».

D’autre part, peu importe s’il existe ou non un contrat entre la victime du défaut de sécurité et le producteur qui a mis le produit défectueux sur le marché. La démonstration des trois conditions précitées suffit à mettre en jeu la responsabilité de ce dernier.

Ce régime permet ainsi d’engager la responsabilité du fabricant – et le cas échéant du vendeur, du loueur (à l’exception du crédit-bailleur ou du loueur assimilable au crédit bailleur) ou de tout autre fournisseur professionnel – d’un produit défectueux.

Les principales conditions de la responsabilité du fait des produits défectueux

La défectuosité du produit - Le produit en cause doit être défectueux, ce qui signifie, selon l’article 1245-3, alinéa 1er, que le produit « n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre ». Ce même article précise que pour apprécier la sécurité « il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation ».

Il s’agit donc d’un produit qui présente un défaut de sécurité ou, plus exactement, une insuffisance de sécurité par rapport à ce que tout un chacun est légitimement en droit d’attendre. La formule est connue puisque l’article L.421-3 du Code de la consommation utilise cette expression en indiquant : « Les produits et les services doivent présenter, dans des conditions normales d’utilisation ou dans d’autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, et ne pas porter atteinte à la santé des personnes ».

Le législateur, poursuivant un objectif de réparation des dommages, a autorisé la mise en jeu de la responsabilité des producteurs et personnes assimilées qui ont fabriqué, vendu ou loué des produits ne présentant pas une sécurité suffisante et à l’origine d’un dommage.

C’est pourquoi, la notion de défaut de sécurité ne se confond pas avec les garanties de délivrance conforme et des vices cachés déjà dues par tout fabricant ou vendeur de biens en application du droit de la vente régi par le Code civil.

L’existence d’un dommage - Les seuls dommages réparables sont les dommages à la personne et aux biens (autres que les dommages au produit défectueux lui-même) d’une valeur supérieure à 500 euros.

Le dommage réparable est défini de façon extrêmement libérale puisque quelle que soit la personne concernée, (consommateur, professionnel de même spécialité ou de spécialité différente de celle du vendeur) et quelle que soit la nature des biens concernés, (biens à usage privé ou biens à usage professionnel, à l’exception du produit à l’origine du dommage), tous les préjudices subis par les personnes et biens concernés sont réparables.

L’établissement du lien de causalité entre le produit défectueux et le dommage - La preuve du défaut du produit et du lien de causalité incombant à la victime a soulevé des discussions au motif qu’elle pouvait être lourde à rapporter selon les circonstances alors que la responsabilité en cause est destinée à davantage protéger la victime.

Comme le législateur n’a pas édicté de présomption légale de causalité, il appartient ainsi bien souvent à la victime de recourir à des expertises judiciaires à chaque fois qu’elle devra établir le défaut et/ou le lien de causalité entre son dommage et ce défaut.

L’arrêt de la Cour de cassation du 14 novembre 2018

En l’espèce, une société (le loueur) a loué à une société spécialisée dans l’assistance aéroportuaire un groupe électrogène destiné à alimenter en électricité un avion au sol. L’avion, appartenant à une compagnie aérienne, a été endommagé à la suite d’une surcharge électrique. Après avoir indemnisé la compagnie aérienne du préjudice subi, la société d’assistance portuaire (le locataire) et son assureur ont recherché la responsabilité du loueur. 

Dans cette affaire, la cour d’appel de Paris a retenu :

  • que la prescription de l’action en responsabilité du fait des produits défectueux qui est enfermée dans un délai de trois ans avait joué ; et
  • que ce régime de responsabilité était exclusivement applicable, alors que les demandeurs invoquaient la garantie pour vices cachés et la responsabilité pour faute du loueur (CA Paris, 16 mai 2017, n° 15/13734).

Le locataire et son assureur ont alors formé un pourvoi en cassation en prétendant que le régime de responsabilité du fait des produits défectueux ne s’appliquait pas aux dommages subis par les biens à usage professionnel (en l’espèce un avion), mais exclusivement aux dommages subis par une chose destinée à l’usage ou à la consommation privés. Ainsi, la prescription triennale de l’action ne leur était plus opposable.

Première confirmation : le bien endommagé par le produit défectueux peut être à usage privé ou à usage professionnel - La Cour de cassation rejette ce moyen au motif que le droit européen, tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne, ne s’oppose pas à ce que le champ d’application du régime français de responsabilité du fait des produits défectueux soit étendu à la réparation des dommages résultant d’atteintes à des biens à usage professionnel (Cass. 1re civ., 14 novembre 2018, n° 17-23.668).

La Cour de cassation rappelle que saisi par elle d’une question similaire, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel (Cass. com., 24 juin 2008, n°07-11.744), le juge européen avait indiqué que la réparation des dommages causés à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage ne relevait pas du champ d’application de la directive. L’arrêt précisait cependant que la directive devait être interprétée comme ne s’opposant pas à l’existence d’un droit national ou à l’application d’une jurisprudence nationale qui indiquerait que la victime peut demander la réparation d’un dommage causé à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée à cette fin. La victime doit néanmoins dans ce cas rapporter la preuve que les conditions de cette responsabilité sont réunies (CJCE, 4 juin 2009, C-285/08, Moteurs Leroy).

Les Etats membres disposent ainsi d’une marge de manœuvre pour organiser le droit de la responsabilité dans le cadre de relations entre professionnels. C’est ce qu’a fait le législateur français en n’ayant pas limité la responsabilité du fait des produits défectueux aux dommages causés à des biens à usage privé.

En confirmant que la responsabilité des produits défectueux pouvait être actionnée pour le dommage causé à un avion de ligne, la Cour de cassation s’inscrit dans la droite ligne de la solution européenne, qu’elle avait déjà appliquée à la suite du renvoi préjudiciel en 2010 (Cass. com., 26 mai 2010, n° 07-11.744), et notamment réitéré en 2017 (Cass. 1re civ., 11 janvier 2017, n° 16-11726).

Toutefois, les demandeurs ont été entendus sur leur seconde prétention.

Seconde confirmation : le droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle pour faute reste applicable - Les demandeurs avaient invoqué, pour mettre en jeu la responsabilité du loueur sur le terrain du droit commun, le bénéfice de la garantie pour vices cachés et de la responsabilité pour faute. La Cour d’appel les avait déboutés en considérant, sans plus ample explication, que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux était applicable à titre exclusif.

La Cour de cassation, constatant que la Cour d’appel n’a pas justifié sa décision d’invoquer le caractère exclusif de l’applicabilité du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, casse et annule l’arrêt d’appel dans toutes ses dispositions.

En effet, le régime mis en place par la directive n’exclut pas l’application d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle s’ils reposent sur des fondements juridiques différents de celui d’un défaut de sécurité du produit litigieux, tels que la garantie des vices cachés ou la faute, et s’il est établi par la victime que le dommage subi résulte d’une faute distincte du défaut de sécurité du produit en cause.

L’article 1245-17 énonce d’ailleurs ce principe : « Les dispositions du présent chapitre ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité. Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond. ».

La victime doit toutefois, pour pouvoir agir sur un double fondement, prendre la précaution de bien caractériser la faute distincte de la personne dont la responsabilité est recherchée.

Ainsi, le défaut de conception d’un produit peut être cause de responsabilité pour son fabricant sur le terrain de la responsabilité du fait des produits défectueux. Le défaut d’installation du même produit peut quant à lui être source de responsabilité délictuelle pour son installateur, sous réserve de pouvoir démontrer que l’installation du produit était fautive. Il est ainsi possible d’obtenir réparation d’un même dommage sur deux fondements différents, ce qui n’avait pas été caractérisé dans deux affaires soumises à la Cour de cassation le 10 décembre 2014 et le 1er mars 2016 (Cass. 1re civ., 10 décembre 2014, n° 13-14.314 ; Cass. 1re civ., 17 mars 2016, n° 13-18.876). 


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