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Statut d'établissement public : la qualification d'aide d'Etat n'est pas automatique | Flash info Secteur public

01/06/2016

Référence : TUE, 26 mai 2016, T-479/11 et T-157/12, France c/ Commission

Dans un arrêt rendu le 26 mai 2016, le Tribunal de l’Union européenne (TUE) précise que la garantie implicite de l’Etat, considérée par la jurisprudence européenne comme attachée au statut d’établissement public français, n’induit pas automatiquement une aide d’Etat. Il appartient, en conséquence, à la Commission européenne de prouver, au cas par cas, l’existence d’un avantage procuré au bénéficiaire.

Dans plusieurs décisions concernant de grands établissements publics français, notamment EDF, La Poste et, en dernier lieu, l’Institut français du pétrole (IFP), la Commission européenne a considéré que le statut d’établissement public est de nature à conférer aux structures concernées un avantage. Ce dernier, combiné aux autres critères posés par l’article 107, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), peut conduire à la qualification d’aide d’Etat. Pour parvenir à cette conclusion, la Commission avait bâti un raisonnement en deux temps consistant :

  • d’une part, à identifier, sur la base d’un faisceau d’indices, l’existence dans le droit français d’une garantie implicite, illimitée et gratuite de l’Etat au profit des établissements publics nationaux (et peut-être des collectivités territoriales à l’égard des établissements publics locaux) ;
  • d’autre part, à considérer que cette garantie était présumée leur conférer un avantage, notamment en ce qu’elle leur permettait de bénéficier d’un profil de solvabilité et donc de conditions de financement plus favorables qu’un opérateur privé comparable.

Ce raisonnement, dans son principe, a été validé par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans un arrêt concernant La Poste (CJUE, 3 avril 2014, C-559/12, France c/ Commission). Mais la Cour avait néanmoins précisé que la présomption d’avantage, et donc d’aide d’Etat, pouvait être renversée par la démonstration que les conditions de financement obtenues par l’établissement en cause n’étaient pas plus favorables que celles offertes par le marché.

Dans un arrêt rendu le 26 mai 2016, concernant la transformation de l’IFP en établissement public, le TUE annule la décision de la Commission par laquelle celle-ci avait estimé que l’IFP avait bénéficié d’une aide d’Etat du fait de son changement de statut. Le TUE ne remet pas ici en cause la possibilité pour la Commission de considérer que la garantie illimitée de l’Etat est attachée au statut des établissements publics, même si celle-ci n’est expressément prévue par aucun texte et que le Conseil d’Etat a affirmé qu’elle n’existe pas en droit interne (avis n° 371.558 du 8 septembre 2005). Mais le TUE atténue la portée de la présomption en apportant un certain nombre de précisions quant aux obligations qui pèsent sur la Commission. Cette évolution de la jurisprudence pourrait limiter les risques pesant jusqu’alors sur les établissements publics français.

Le TUE cantonne la présomption d’avantage aux relations de l’établissement public avec les institutions financières et les banques

Dans la décision qui vient d’être annulée, la Commission avait considéré que l’identification d’une garantie illimitée liée à la qualité de personne publique suffisait pour établir une présomption générale d’aide d’Etat englobant toutes les relations de l’établissement public avec les tiers.

Le TUE censure cette appréciation extensive et automatique de la notion d’avantage et explique que la présomption d’avantage, et donc d’aide d’Etat, ne s’applique que pour identifier une éventuelle aide consistant en des conditions de crédit plus favorables. Elle ne s’étend donc pas automatiquement à toutes les relations entre l’établissement public et ses clients ou ses fournisseurs.

Le TUE restreint aussi la portée de la présomption d’avantage dans les relations de l’établissement public avec les institutions financières et les banques

A l’intérieur de la sphère des relations entre les établissements publics et les institutions financières ou les banques, le TUE considère que, si l’Etat membre réussit à démontrer que, sur une période donnée, les conditions de crédit obtenues n’ont pas été plus favorables que celles du marché, alors non seulement il n’existe pas d’aide, mais le statut d’établissement public ne peut justifier, ni que persiste une présomption d’aide, ni que l’établissement soit mis sous surveillance par la Commission.

En effet, alors même que la France avait réussi à démontrer que, sur la période examinée par la Commission, l’IFP n’avait pas bénéficié de conditions de crédit plus favorables, celle-ci avait néanmoins imposé à l’Etat français de lui transmettre un rapport annuel sur les conditions de financement de l’IFP pour s’assurer qu’il ne bénéficierait jamais d’une aide d’Etat implicite. Le Tribunal estime qu’à partir du moment où l’Etat membre a réussi à "renverser" la présomption d’aide, la Commission n’est pas fondée à lui imposer de telles obligations.

Le TUE estime que, dans les relations de l’établissement public avec ses clients et fournisseurs, c’est à la Commission de rapporter la preuve concrète d’un avantage

Le TUE censure donc la décision de la Commission pour avoir considéré que la présomption d’avantage s’appliquait également dans les relations entre l’établissement public et ses clients et fournisseurs.

Sur ce point, le Tribunal estime que, pour caractériser l’existence d’une aide d’Etat, la Commission doit rapporter la preuve des effets réels observés sur le marché et donc de l’existence d’avantages obtenus par l’établissement public du fait de son statut. Car, contrairement aux conditions de crédit, pour lesquelles il est communément observé sur le marché une amélioration de la notation et donc des conditions de financement des établissements publics, de tels effets ne peuvent être automatiquement extrapolés dans les relations entre un établissement public et ses fournisseurs ou ses clients. Il n’existe donc pas ici de présomption d’aide d’Etat.


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En conclusion, la position adoptée par le TUE remet en cause l’automaticité et la généralité de la qualification d’aide d’Etat que la Commission avait cru pouvoir appliquer à la garantie étatique implicite dont bénéficient les établissements publics du seul fait de leur statut.

Reste à savoir si cette position sera confirmée par la CJUE dans l’hypothèse, probable, où la Commission formerait un pourvoi.

Auteurs

Portrait deChristophe Barthélemy
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François Tenailleau
Associé
Paris
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