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La modernisation du droit des émissions obligataires

Vers une simplification du cadre juridique des émissions obligataires

19/05/2017

Le droit des émissions obligataires vient enfin d'être modernisé, avec la simplification du cadre juridique de ces dernières (1.), le "toilettage" des dispositions du Code de commerce relatives à la masse (2.) et la consécration dans le Code monétaire et financier de la possibilité pour l'émetteur et les porteurs d'obligations d'organiser leurs relations sur une base purement contractuelle (3.). Cette petite révolution, opérée par l'ordonnance n°2017-970 du 10 mai 2017 tendant à favoriser le développement des émissions obligataires, est la bienvenue tant le régime précédent, hérité pour l'essentiel d'un décret-loi de 1935, avait besoin d'être dépoussiéré.

1. Les améliorations en matière de simplification du cadre juridique

  • Capacité pour les sociétés par actions d'émettre des obligations : l'article L.228-39 du Code de commerce permet désormais aux sociétés par actions qui n'ont pas encore deux bilans régulièrement approuvés par leurs actionnaires de procéder à une émission obligataire lorsque les obligations bénéficient de la garantie d'une société ayant elle-même établi deux bilans régulièrement approuvés par ses actionnaires.
  • Assouplissement de la procédure de vérification de l'actif et du passif : alors que la version antérieure de l'article L.228-39 du Code de commerce renvoyait aux articles L.225-8 et L.225-10 du même code relatifs à l'approbation des apports en nature et l'octroi d'avantages particuliers lors de la constitution de sociétés avec offre au public, la nouvelle version de l'article supprime ce renvoi maladroit pour adapter le processus de vérification de l'actif et du passif aux particularités des émissions obligataires. C'est désormais l'organe de la société compétent pour décider ou autoriser l'émission d'obligations qui désignera le commissaire chargé d'établir le rapport sur la valeur des actifs et passifs.
  • Possibilité de déléguer à toute personne le pouvoir de décider l'émission d'obligations : l'article 3 de l'ordonnance du 10 mai 2017 assouplit les conditions de délégation applicables en matière d'émission. Le droit antérieur permettait à l'organe social compétent pour autoriser l'emprunt obligataire de déléguer à un ou plusieurs de ses membres, au directeur général ou, avec l'accord de ce dernier, à un ou plusieurs directeurs généraux délégués, le pouvoir de décider l'émission d'obligations, sauf dans les établissements de crédit, pour lesquels une telle limitation n'existait pas. L'article L.228-40 du Code de commerce unifie désormais le régime applicable à l'ensemble des sociétés par actions (qu'elles soient ou non établissements de crédit) en permettant au conseil d'administration ou au directoire de déléguer le pouvoir de décider l'émission à toute personne de son choix, et donc au directeur financier ou au trésorier. Cet assouplissement est opportun puisque le directeur financier ou au trésorier, présents tout au long du processus de réalisation de l'émission, pourront ainsi également se voir attribuer le pouvoir de décider du moment et des modalités de l'émission.

2. Le toilettage des articles du Code de commerce relatifs à la masse

  • Clarification des modalités de désignation du représentant de la masse : l'article L.228-51 du Code de commerce prévoyait qu'en l'absence de nomination dans le contrat d'émission, le représentant de la masse devait être nommé par l'assemblée générale des obligataires ou à défaut, par décision de justice, dans le délai d'un an à compter de la date d'émission. L'article modifié supprime, à juste titre, ce délai en précisant cependant que lorsque les obligations sont offertes au public, le représentant de la masse doit être désigné dans le contrat d'émission. En l'absence d'offre au public, le représentant de la masse peut donc être désigné dans le contrat d'émission ou ultérieurement par l'assemblée générale des porteurs d'obligations ou, à défaut, par décision de justice à la demande de tout intéressé, mais le défaut de désignation dans le contrat d'émission n'impose plus sa désignation dans le délai d'un an.
  • Mise en conformité des conditions de désignation du représentant de la masse avec le droit communautaire : les incompatibilités auxquelles le représentant de la masse est soumis restent, à raison, inchangées (articles L.228-49, L.228-62 et L.228-63 du Code de commerce). L'ancien article L.228-48 du Code de commerce prévoyait cependant que le représentant de la masse devait être soit de nationalité française soit ressortissant d'un Etat membre de la Communauté européenne et domicilié en France. La condition posée de domiciliation en territoire français était, comme l'avait souligné le comité juridique de l'ANSA, contraire à la jurisprudence communautaire. L'article 5 de l'ordonnance a donc supprimé le critère de résidence en France : toute personne ou société ressortissant ou domiciliée dans un Etat membre de l'Union européenne pourra être désignée représentant de la masse.
  • Consécration de la faculté pour le représentant de la masse de déléguer une partie de ses pouvoirs : le représentant de la masse a le pouvoir d'accomplir au nom de la masse tous les actes de gestion pour la défense des intérêts communs des obligataires. La possibilité pour le représentant de la masse de déléguer à un tiers une partie de ses pouvoirs était discutée. La réforme met fin au débat en consacrant la faculté du représentant de la masse de déléguer à un tiers une partie de ses pouvoirs (article L.228-53 du Code de commerce), ce qui pourra notamment faciliter la répartition des rôles du représentant et de l'agent des sûretés (dont le régime vient d'être modifié par l'ordonnance n°2017-748 du 4 mai 2017 relative à l'agent des sûretés) dans le cas d'obligations assorties de sûretés.
  • Assouplissement des conditions de forme et de délais de convocation aux assemblées générales d'obligataires : tout d'abord l'article L.228-58 du Code de commerce ouvre le pouvoir de convocation des assemblées générales d'obligataires au représentant légal de la société, ce qui est un assouplissement intéressant puisqu'en cas de convocation par l'émetteur, celle-ci était de la compétence du conseil d'administration ou du directoire qu'il fallait donc réunir. La convocation reste soumise aux mêmes conditions de forme et de délai que celles des assemblées générales d'actionnaires sauf, et là réside une nouveauté importante, stipulation contraire du contrat d'émission (article L.228-59 du Code de commerce). En pratique cela permettra d'exclure contractuellement les lourdeurs telles que la publication des avis de convocation dans un journal d'annonces légales et au BALO au profit de modalités plus souples et moins coûteuses comme la diffusion par l'intermédiaire des organismes de compensation, la publication sur le site internet de l'émetteur ou l'envoi par courrier électronique. A noter qu'il est renvoyé en parallèle à un décret en Conseil d'Etat qui fixera en contrepartie les garanties nécessaires à la bonne information des obligataires ; le projet de décret prévoit à ce stade que la convocation concernée devra parvenir aux obligataires dans un délai raisonnable avant la tenue de l'assemblée générale afin que chacun puisse prendre connaissance suffisamment en amont des points inscrits à l'ordre du jour.
  • Prise de décisions par les obligataires en assemblée générale ou par écrit : la tenue d'assemblées générales ne constituera désormais plus l'unique mode de prise de décision des obligataires. Le nouvel article L.226-46-1 du Code de commerce dispose que les "décisions peuvent également être prises à l'issue d'une consultation écrite, y compris par voie électronique, si le contrat d'émission le prévoit et selon les modalités de délai et de forme définies par celui-ci".
  • Simplification du régime d'octroi et de mainlevée des sûretés consenties aux porteurs d'obligations : les émissions obligataires peuvent être assorties de sûretés réelles et cette tendance s'est développée ces dernières années notamment sur le marché des Euro PP. Le régime d'octroi et de mainlevée des sûretés accordées par la société émettrice à la masse des porteurs d'obligations, qui figure dans le Code de commerce, a légitimement été modernisé par l'ordonnance du 10 mai 2017. Ainsi :- les références à un "droit de préférence" (ancien article L.228-65 I 4° du Code de commerce) et à des "sûretés particulières" (ancien article L.228-77 du Code de commerce) sont remplacées par l'expression "sûretés réelles" ;- le Code de commerce permet désormais expressément à l'émetteur de constituer des sûretés réelles concomitamment à l'émission des obligations (article L.228-77 du Code de commerce) alors que seule la constitution de sûretés avant ou après l'émission était envisagée par le Code de commerce, avec d'ailleurs des régimes différents qui soulevaient des difficultés. En cas de constitution avant l'émission, l'article L.228-79 modifié du Code de commerce précise utilement que le représentant de la masse peut être partie au contrat de sûreté "pour le compte de la masse des obligataires en formation" ;- l'ordonnance abroge les dispositions de l'article L.228-78 du Code de commerce qui prévoyaient que les sûretés réelles venant sécuriser un emprunt obligataire étaient conférées "par le président du conseil d'administration, le représentant du directoire ou le gérant, sur autorisation de l'organe social habilité à cet effet par les statuts". L'abrogation est logique puisque l'on comprenait mal pourquoi le régime d'autorisation de droit commun était évincé au profit de règles spécifiques lorsque la sûreté était consentie à des obligataires. Il en est de même des modalités d'inscription de la sûreté concernée et de son renouvellement pour lesquelles le droit commun de la sûreté concernée doit s'appliquer ;- les dispositions de l'article L.228-79 alinéa 2 du Code de commerce qui prévoyaient la constatation dans un acte authentique, par le représentant légal de l'émetteur, du résultat de la souscription à l'emprunt obligataire dans les six mois de son ouverture sont abrogées ; et- l'article L.228-80 du Code de commerce réécrit précise que les modalités de mainlevée des sûretés accordées aux obligataires pourront être déterminées dans le contrat d'émission. Cette faculté permettra notamment une gestion plus efficace des cas et conditions de mainlevée lorsque les sûretés sont partagées entre plusieurs créanciers.
  • Abrogation de textes obsolètes : autre modification remarquable opérée par la réforme du droit des émissions obligataires, la loi du 11 juillet 1934 relative à la compétence des tribunaux en matière de remboursement de titres ou de paiement de coupons émis par les sociétés et collectivités françaises ou étrangères et le décret-loi de 1935 relatif à la protection des obligataires, textes obsolètes mais qui étaient encore en vigueur, sont abrogés.

3. La consécration de la liberté contractuelle pour les émissions à destination des investisseurs institutionnels

  • Liberté contractuelle consacrée pour les émissions wholesale : avec le nouvel article L.213-6-3 du Code monétaire et financier, l'ordonnance consacre pour les obligations ayant une valeur nominale au moins égale à un montant fixé par décret, la possibilité d'organiser contractuellement dans le contrat d'émission les relations entre l'émetteur et les porteurs des obligations. Le décret attendu devrait fixer ce montant à 100.000 euros, afin de limiter le champ de cet article aux obligations placées auprès d'investisseurs institutionnels, les émissions destinées à être offertes au public demeurant régies par le cadre défini dans le Code de commerce. En pratique, pour les obligations ayant une valeur nominale au moins égale à 100.000 euros, le contrat d'émission pourra continuer de renvoyer au régime de la masse du Code de commerce, en y apportant tous les ajustements souhaitables qui pourront être librement négociés entre l'émetteur et les obligataires. Mais le contrat d'émission pourra aussi, et c'est la grande nouveauté, définir un régime purement contractuel pour régir les relations entre l'émetteur et les obligataires, sans masse, à l'instar de ce qui se fait dans d'autres pays.
  • Concours de créanciers : le contrat d'émission pourra définir des règles de majorité particulières, et même prévoir les conditions dans lesquelles les obligataires pourront être amenés à voter avec d'autres créanciers, facilitant ainsi l'application des accords intercréanciers pour les obligations de projet (project bonds) ou les Euro PP avec sûretés partagées.
  • Possible modification unilatérale du contrat d'émission en cas d'erreur matérielle : le nouvel article L.213-6-3 paragraphe V du Code monétaire et financier donne à l'émetteur la faculté de modifier unilatéralement le contrat d'émission afin de corriger une erreur matérielle. Empruntée au droit anglo-saxon, cette disposition vient aligner le régime français sur la pratique obligataire internationale.

L'ordonnance a été prise en application de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (loi Sapin II). Elle est basée en grande partie sur les importants travaux menés depuis plusieurs mois au sein de la Commission obligataire de Paris Europlace, regroupant des représentants de la Direction Générale du Trésor, du Ministère de la Justice, de l'Autorité des marchés financiers, de l'AMAFI, de l'ANSA, de l'AFTE, d'émetteurs, de banques arrangeuses et de cabinets d'avocats, dont CMS Bureau Francis Lefebvre.

La réforme ne sera achevée qu'après la publication du décret devant modifier la partie réglementaire du Code de commerce et apporter des précisions complémentaires sur certains points de l'ordonnance, toujours en cours d'examen au Conseil d'Etat. Les articles de l'ordonnance qui ne nécessitent pas de décret sont en vigueur depuis le 12 mai 2017. Un projet de loi de ratification de l'ordonnance devra être déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de sa publication.

Nous ne pouvons que nous féliciter de l'aboutissement de ces travaux avec la toute dernière ordonnance du quinquennat qui vient de s'achever. Nous disposons avec cette réforme d'un droit des émissions obligataires moderne et souple pour le financement des entreprises et des collectivités territoriales.


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