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Responsabilité des dépositaires : une victoire à la Pyrrhus ?

28/06/2010

Dans son arrêt du 4 mai 2010 rendu contre les décisions de la cour d’appel de Paris du 8 avril 2009, la Cour de cassation a approuvé les juges du fond qui avaient retenu l’obligation de restitution du dépositaire sur les actifs d’OPCVM déposés chez un sous-dépositaire.

On rappellera que les décisions d'appel étaient intervenues dans le cadre de la faillite de Lehman Brothers, à la suite de plusieurs injonctions faites par l’AMF aux dépositaires français le 13 novembre 2008 de restituer les actifs d’OPCVM sous-déposés chez Lehman Brothers International Europe (« LBIE »). En effet, les dépositaires français se sont retrouvés dans l’impossibilité d’obtenir de leur sous-dépositaire les actifs qui lui avaient été transmis.

Une des particularités des fonds concernés est d’avoir adopté des stratégies de gestion alternative et recouru à ce titre également et directement à LBIE en qualité de prime-broker en vertu d’un contrat dit de “prime brokerage”. Ce contrat stipulait notamment que LBIE fournirait aux fonds des financements et qu’en vue de garantir les obligations en résultant, des actifs de ces fonds pourraient être réutilisés (c'est-à-dire, transférés en pleine propriété à titre de garantie) au profit de LBIE dans la limite de 140% de la créance ainsi générée sur l’OPCVM considéré (% conforme à celui prévu dans le RGAMF pour les fonds ARIA).

Ainsi, LBIE agissait tout à la fois en qualité de sous-dépositaire vis-à-vis du Fonds et de prime-broker. En conséquence, les actifs conservés en qualité de sous-dépositaire demeuraient la propriété du fonds alors que ceux transférés au titre de la réutilisation étaient la propriété de LBIE.

A l’occasion de sa déconfiture, LBIE a été dans l’impossibilité de restituer l’ensemble des actifs des fonds qui ont logiquement appelé en responsabilité leur dépositaire sur la base de l’article L.214-26 du code monétaire et financier.

Tant l’AMF que les juges du fond et la cour de cassation ont considéré que le dépositaire d’un fonds commun de placement ne peut être déchargé de l’obligation de restituer les instruments financiers dont il a la garde, même lorsqu’il délègue à un tiers la conservation des actifs,. Ils ont également conclu que cette restitution s’imposait, alors même que dans le cas d’espèce du fonds Delta Prime ESSF, la société LBIE s’en était irrégulièrement approprié une partie.

Si ces décisions paraissent faire une juste application des dispositions régissant la responsabilité des dépositaires, leur portée devrait être, selon nous, interprétée à la lumière des récentes évolutions de la réglementation.

Tout d’abord, s’agissant des OPCVM réservés à des investisseurs avertis (contractuels, ARIA), l’obligation de restitution peut faire l’objet d’aménagements en application de l’ordonnance n° 2008-1081 du 23 octobre 2008. Du point de vue des OPCVM alternatifs, cette obligation de restitution peut donc être clairement aménagée.

Mais au -delà de la gestion alternative, on peut s’interroger sur le risque que cette décision ne vienne in fine pénaliser la gestion française. En effet, les dépositaires français peuvent être tentés, par crainte de supporter le risque de leurs sous-dépositaires, de limiter ou faire payer cher leur intervention au bénéfice des OPCVM français pour lesquels l’obligation de restitution ne peut être aménagée.

Dans la perspective de la compétition qu’UCITS IV ne manquera pas de susciter entre les places européennes AIFM et à l’aune du contentieux Luxalpha, il faut certainement saluer la robustesse de la régulation française mais également trouver les justes limites pour que celle-ci ne soit pas un frein concurrentiel au développement de la place de Paris.


Jérôme Sutour,
Avocat associé

Analyse juridique parue dans la revue Option Finance du 17 mai 2010

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Jérôme Sutour
Associé
Paris