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Les opérations de crédit-bail immobilier au regard du nouvel article L.64 A du LPF

Lettre de l'Immobilier | Mai 2019

03/06/2019

L’ évolution de la perception de ce que constitue un choix juridique ou économique non contestable fiscalement amène à s’interroger sur la question de savoir si l’utilisation que peuvent faire les entreprises du crédit-bail immobilier peut finalement encourir une critique au regard du nouvel abus de droit de l’article L.64 A du Livre des procédures fiscales qui, rappelons-le, s’appliquera aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021 portant sur des actes passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2020.

Une première question pourrait d’ores et déjà se poser. Dès lors que la même détention économique d’un immeuble ne produit pas les mêmes effets fiscaux pour l’entreprise, selon qu’elle en est détentrice en qualité de propriétaire ou de crédit-preneuse, peut-on imaginer des situations dans lesquelles la détention d’un contrat de crédit-bail immobilier en lieu et place de l‘immeuble pourrait encourir la critique ?

Il faudrait, pour ce faire, au sens du nouveau dispositif, que la conclusion ou la détention du contrat ait pour motif principal d’éluder ou d’atténuer des charges fiscales que le crédit-preneur, si la souscription ou la détention de ce contrat n’avait pas été passée ou réalisée, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.

Quelles sont les principales différences objectives :

  • un traitement différent du contrat de crédit-bail immobilier pour la définition de la prépondérance immobilière puisque, sauf exception (définition des titres de sociétés à prépondérance immobilière pour le régime des plus-values professionnelles des entreprises, article 219 I a sexies O bis du Code général des impôts - CGI), la détention d’un contrat de crédit-bail immobilier ne qualifie pas la détention d’un immeuble ;
  • un traitement différent des charges de redevances en matière d’impôts directs puisque, sauf exception, la déduction des redevances de crédit-bail immobilier est plus favorable que celle cumulée des dotations d’amortissement et des charges d’intérêts, d’où le mécanisme de régularisation prévu par les articles 239 sexies et suivants du CGI ;
  • un traitement différent du point de vue de la TVA, l’acquisition par voie de crédit-bail immobilier impliquant de déterminer le régime applicable aux loyers versés par le crédit-preneur (exonération, taxation de plein droit ou taxation sur option selon la nature des locaux loués), le régime de TVA applicable au transfert de la propriété de l’immeuble étant en revanche gouverné par les mêmes règles qu’il s’agisse de l’acquisition de l’immeuble en direct ou de la levée d’option en cours de crédit-bail immobilier.

S’il existe peu de différence en matière de TVA entre l’acquisition d’un immeuble par voie de crédit-bail et la détention directe de l’immeuble, il existe, en revanche, une différence notable en matière de droits de mutation. En effet, pour les contrats de crédit-bail immobilier, il est admis que les droits dus en application des articles 683 du CGI, 1594 F quinquies du CGI ou 1115 du CGI à raison de la levée d’option d’achat soient liquidés sur le prix de la cession, abstraction faite de la valeur vénale du bien transmis, à condition que, s’agissant des contrats d’une durée supérieure à douze ans, ils aient été soumis à la taxe de publicité foncière lors de leur conclusion (BOFIP BOI-ENR-DMTOI-10-60-20130408).

Ce régime de faveur s’applique également aux contrats conclus pour une durée inférieure à douze ans, même s’ils n’ont pas été publiés. L’acquisition d’un immeuble par voie de crédit-bail immobilier génère ainsi, en principe, un frottement fiscal moins important en matière de droits de mutation.

Le fait que la loi fiscale ne prévoit pas les mêmes conséquences selon que l’on détienne un immeuble ou un contrat de crédit-bail ne paraît cependant pas de nature à rendre critiquable le choix effectué initialement, sauf dans les situations où il peut apparaître, qu’en réalité, le crédit-preneur a entendu acquérir dès l’origine l’immeuble sous-jacent. Mais cette situation connue de longue date des praticiens recouvre en règle générale les cas dans lesquels l’option d’achat s’exerce par trop rapidement, ce qui a conduit au demeurant certains crédits-bailleurs à fixer contractuellement une période incompressible durant laquelle l’option d’achat ne peut être exercée.

A ce titre, l’administration fiscale indique seulement dans sa documentation BOFIP (BOI-BIC-BASE-60-30-10, n° 40, 16 décembre 2013) que « la déduction des loyers peut être remise en cause sur le fondement des dispositions de l’article L.64 du Livre des procédures fiscales, lorsqu’il apparaît que, pour un motif exclusivement fiscal, le contrat de crédit-bail déguise une vente à tempérament ou un transfert de bénéfices ou de revenus », tout en précisant que la seule circonstance que le prix prévu pour la levée d’option soit faible, voire symbolique, n’est pas en elle-même suffisante pour requalifier temporairement un contrat de crédit-bail immobilier en un transfert de propriété de l’immeuble dès la signature dudit contrat.

Les crédits-preneurs peuvent également être amenés à proroger la durée initiale des contrats décalant ainsi la date à laquelle ils auraient pu devenir propriétaires des immeubles et tirer dès lors les conséquences fiscales qui découlent d’une telle situation, et la question d’un intérêt fiscal à ces situations pourrait là aussi se poser.

Ici encore, le bon sens devrait prévaloir en ce que ces hypothèses de prorogation recoupent en règle générale deux situations particulières, dont aucune ne paraît devoir encourir la critique dès lors qu’elles résultent d’un libre choix de gestion des crédits-preneurs.

Les deux cas principaux que la pratique connait sont :

  • la nécessité ou le choix d’étaler financièrement, sur une période plus longue que celle prévue par l’échéancier initial, le montant des redevances restant à verser ; et
  • le financement de nouveaux travaux.

La jurisprudence intervenue en matière de prêts trouve ici à s’appliquer et la seule prorogation ne saurait caractériser une novation du contrat existant, sauf aux parties à en convenir expressément.

Ces deux situations n’entraînent pas de conséquences spécifiques en matière de TVA. Dans ces conditions, là encore, le constat de ce que la prorogation de la durée du contrat, lorsqu’elle intervient pour des raisons objectives et justifiées, place le crédit-preneur dans une situation différente de celle qui serait la sienne en cas de levée d’option et, le cas échéant, ne générant pas temporairement certaines conséquences fiscales, ne paraît pas devoir encourir de critiques sur le plan de l’article L.64 A nouveau du Livre des procédures fiscales. A défaut, les entreprises seraient privées de toute liberté de gestion. On écartera bien évidemment les situations dans lesquelles la faiblesse objective des redevances résiduelles restant à verser ou du montant des travaux à financer rendrait inopérant l’argument du choix de gestion.

Le crédit-preneur est enfin amené, en règle générale, à exercer l’option d’achat et devenir propriétaire de l’actif immobilier.

Rappelons tout d’abord que la fusion-absorption placée sous le régime de faveur des fusions du crédit-preneur par une société qui reçoit le contrat et lève ainsi l’option d’achat ne fait pas obstacle à l’application des dispositions de l’article 239 sexies B du CGI selon le Conseil d’Etat, ce qui rend dès lors l’opération sans intérêt fiscal.

Il en va de même du choix de céder le contrat en lieu et place d’exercer l’option d’achat de l’immeuble et de céder ensuite l’immeuble, lorsque le crédit-preneur n’entend pas le conserver, le cessionnaire du contrat exerçant alors l’option d’achat puisque ce choix ne produit pas d’avantages fiscaux.

Certes, dans une telle situation, les dispositions de l’article 239 sexies B du CGI, qui prévoient la réintégration dans les bénéfices du crédit-preneur de la différence existant entre la valeur de l’immeuble lors de la signature du contrat diminuée du prix de levée de l’option et le montant des amortissements que le locataire aurait pu pratiquer s’il avait été propriétaire du bien depuis cette date, ne produisent pas d’effet puisque la réintégration à effectuer doit être diminuée des quotes-parts de loyers non déduites pendant la période de location et que le cessionnaire du contrat n’a pour sa part déduit aucun loyer.

L’avantage fiscal est cependant neutralisé par l’imposition du gain de cession du contrat. Le dispositif permet enfin d’amortir le prix de revient du contrat dans des conditions très proches de celles d’un immeuble.

Par ailleurs, si l’examen comparé des deux scénarios au regard de la TVA et des droits de mutation fait apparaître des différences de traitement fiscal des opérations liées à leur nature intrinsèque, on ne peut considérer que la cession du contrat éluderait là encore des charges fiscales qui, à défaut, auraient été supportées.

Ainsi, la cession, par le crédit-preneur, du contrat de crédit-bail immobilier se traduit par une double vente : d’une part, une cession d’un droit de jouissance soumis aux droits proportionnels d’enregistrement prévus à l’article 725 du CGI et, d’autre part, une cession de la promesse unilatérale de vente passible du droit fixe et soumise à la TVA comme le serait la cession de l’immeuble sous-jacent ; toute la difficulté résidant dans la ventilation du prix de cession entre fraction représentative du droit de jouissance et fraction représentative de la promesse unilatérale de vente alors que dans l’opération consistant pour le crédit-preneur à acquérir l’immeuble en vue de le céder, les règles classiques d’achat et de vente des immeubles s’appliquent sous les particularités suivantes.

En pratique, les crédits-bailleurs optent pour la taxation à la TVA de la vente d’immeubles anciens afin de préserver leurs droits à déduction (affaire C-97/07 de la CJUE, Nordania Finans A/S et BG Factoring A/S contre Skatteministeriet), étant précisé que le fait que le prix de levée d’option puisse être très faible voire égal à un euro ne fait pas obstacle à la constatation, par ces derniers, d’un droit à déduction intégral. Ainsi, lors de la revente de l’immeuble par l’ex crédit-preneur, ce dernier a intérêt à opter pour la taxation de la vente à la TVA afin de prétendre à la récupération de la TVA grevant l’acquisition.

Cette analyse ne vaut que si cette double opération n’entre pas de plein droit dans le dispositif prévu par l’article 257 bis du CGI qui a pour objet de dispenser, au regard de la TVA, les opérations réalisées à l’occasion de la transmission, à titre onéreux ou gratuit ou sous forme d’apport à une société, d’une universalité totale ou partielle de biens, qui sont réalisées entre redevables (totaux ou partiels) de la TVA lorsque le crédit-preneur lève l’option d’achat d’un immeuble auprès d’un crédit-bailleur dès lors que le crédit-preneur entend continuer à affecter l’immeuble (auparavant affecté à une activité de sous-location taxée en TVA) à une activité locative en TVA.


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