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Dans quelle mesure un cadeau peut être qualifié de présent d’usage ?

29/11/2023

A défaut d’être déterminée par les juridictions monégasques, la définition du présent d’usage nous est donnée par la Cour de cassation du pays voisin, laquelle les définis comme des « cadeaux faits à l’occasion de certains événements, conformément à l’usage, et n’excédant pas une certaine valeur » (Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 6 décembre 1988).

Ainsi, le présent d’usage n’est qu’un cas particulier de don manuel.

Le don manuel est une libéralité entre vifs qui se réalise par la simple remise matérielle d’un bien, appelée tradition, laquelle caractérise par elle-même son existence.

Dès lors, le don manuel qui se réalise par la tradition, est licite.

L’exception au régime général des donations entre vifs, ne concerne que la forme de la donation.

Sur le fond, le don manuel est soumis au régime commun des donations entre vifs.

Ainsi, il est aisé de comprendre l’intérêt du don manuel, qui est celui de le soustraire au régime contraignant des donations entre vifs.

Encore faut-il savoir comment identifier un présent d’usage, don manuel particulier, qui en pratique prend la forme d’un cadeau.

Pour qu’un cadeau puisse être qualifié de présent d’usage, deux conditions sont généralement exigées.

Il faut qu'existe un usage en vertu duquel le cadeau est consenti et qui en constitue la cause, mais il est nécessaire également qu'il y ait une absence de caractère excessif de la valeur du présent par rapport à la situation sociale du ou des donateurs.

Au regard de l'intérêt pratique de plus en plus évident qui s'attache à la notion de présent d'usage, il apparaît intéressant d'analyser les deux caractères exigés, soit les circonstances qui constituent l'usage justifiant son attribution (I), ainsi que la modicité relative du cadeau (II), avant d’examiner les intérêts à consentir un présent d’usage (III).

I. La gratification doit être effectuée à l’occasion d’un évènement où il est usuel d’offrir un cadeau

La seule condition posée par l’article 721 du Code civil, pour qu’un cadeau puisse être qualifié de présent d’usage est de le subordonner à un usage.

La référence ainsi faite à l'usage permet d'écarter les cadeaux qui ne sont liés à aucun événement précis : tout le monde peut faire un présent sans obéir pour autant à un usage.

Ainsi, la jurisprudence évoque tantôt « une cause précise tendant à un usage social ou familial » (Cour de révision, 7 octobre 1991), ou une « cause précise tenant, notamment, à un évènement ou à une coutume à caractère social ou familial » (Tribunal de Première Instance, 22 octobre 1987).

Bref, il peut être admis que la gratification soit effectuée à l’occasion d’un évènement où il est usuel d’offrir un cadeau tel un anniversaire, un mariage, une fête civile ou religieuse, la réussite à un examen, la naissance d’un enfant…

Un don consenti hors d’un événement tenant à un usage social ne peut pas être qualifié de présent d’usage (Cour de révision, 7 octobre 1991).

II. La gratification doit être proportionnée à l’état de fortune du donateur

La nature du cadeau et de sa valeur en tant que tel, est indifférente.

Mais pour être considéré comme un présent d’usage, il convient d’apprécier la valeur de la gratification en fonction des facultés du donateur et non du donataire (Cour de Révision, 7 octobre 1991).

Ainsi, par exemple, des sommes de 5.700.000 $US et 3.000.000 $US ne constituent pas des présents d’usage eu égard au patrimoine du disposant (Cour de révision, 26 mars 2015).

La jurisprudence apprécie la situation de fortune des parties en insistant sur leurs « facultés respectives » ou encore sur leur « situation sociale et pécuniaire ».

Ce qui importe avant tout, c'est que le cadeau soit en rapport avec la fortune et le train de vie du donateur.

Il convient simplement de poser en principe que le présent d'usage ne constitue pas une libéralité lorsqu'il est en rapport avec les facultés du donateur et qu'il en constitue une lorsqu'il excède ses ressources normales.

Malheureusement, aucune règle n’existe en la matière, les Juges monégasques appréciant souverainement au cas par cas la nature du don, en fonction de l’ensemble des circonstances de fait ayant entouré la gratification.

III. Les intérêts du présent d’usage

Consentir un présent d’usage peut permettre d’avantager un proche (a), le faire échapper aux hypothèses de révocation des donations (b), et permettre à une personne n’ayant pas la capacité de disposer de néanmoins y parvenir (c).

a)    Avantager un proche

L'article 712 du Code civil prévoit que tout héritier venant à une succession doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt.

Cette règle du rapport à succession s'applique aux dons manuels.

Elle est destinée à assurer l'égalité entre les héritiers, égalité qui est de droit en Principauté de Monaco (voir un précédent article sur « La Restitution des fruits des donations réductibles », du 22 juin 2023).

Or, l'article 721 du Code civil prévoit, au contraire, que les présents d'usage ne doivent pas être rapportés.

Ainsi, la distinction entre don manuel et présent d'usage est importante en matière civile puisque le premier sera rapportable à la succession de celui qui le consent alors que le second ne le sera pas.

Dès lors, le présent d’usage n’étant pas rapportable, ni à réunir, à la succession, il pourra être utiliser pour gratifier un proche, en évitant, ainsi, le principe d’égalité qui doit exister entre les héritiers, en vigueur en Principauté de Monaco.

b)    Echapper aux hypothèses de révocation des donations

Echappant au régime des donations entre vifs, le présent d’usage échappe à la révocation pour cause d'ingratitude ou pour survenance d'enfant ou aux règles aménageant le sort des donations en cas de divorce et de séparation de corps.

En effet, la Cour de révision, dans un arrêt en date du 7 octobre 1991, a admis que les présents d’usage ne sont pas susceptibles de révocation pour cause de survenance d’enfant prévue par l’article 827 du Code civil.

c)    Permettre à toute personne de disposer

Un présent d’usage échappant au statut des libéralités, il devrait également échapper, comme cela a été admis dans le pays voisin, aux dispositions de l’article 771 du Code civil, interdisant à un mineur âgé de moins de seize ans de disposer.

Ainsi, les présents d’usage pourraient être valablement consentis non seulement par le mineur lui-même, mais également en son nom, par son représentant légal.

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Aux termes de ces développements, il est utile de constater qu’un acte qui peut paraître anodin, offrir un cadeau, peut entraîner des conséquences juridiques insoupçonnées pour une personne non initiée, mais qui selon les circonstances peut présenter un intérêt particulier.

Cette situation démontre la nécessité, en matière successoral, de s’entourer de l’assistance de Conseils spécialisés, pour pouvoir en tirer la meilleure partie.

Auteurs

Portrait deGéraldine Gazo
Géraldine Gazo
Partner
Monaco
Portrait deDenis Patruno
Denis Patruno