Home / Publications / Vote électronique : quand la démocratie passe par...

Vote électronique : quand la démocratie passe par le Net

01/08/2011

Le recours au vote électronique pour les élections professionnelles devient de plus en plus fréquent, dans les entreprises comme dans l'administration. Pourtant, ce mode de vote est encore contesté par certains syndicats et, en pratique, il se révèle lourd et souvent coûteux. Il n'en reste pas moins utile et efficace à l'heure où la mesure de la représentativité constitue un enjeu considérable.

Le vote électronique pour les élections professionnelles a été autorisé par la loi sur la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004 mais le décret et l'arrêté n'ont été publiés que le 25 avril 2007.

Un mode de scrutin contesté malgré de réels avantages

Il présente des avantages indiscutables en matière d'efficacité et de simplification des opérations de vote, en particulier lorsque l'entreprise est installée sur plusieurs sites éloignés. Il permet aussi, dans un environnement où la mobilité s'est accrue, de faciliter le vote des personnels en déplacement ou mis à disposition d'une entreprise extérieure, ce qui améliore notablement la participation. Le vote électronique a ainsi un intérêt considérable dans le cadre de la mesure de la représentativité qui, depuis la loi du 20 août 2008, conditionne l'accès à la négociation collective.

Cependant, le vote électronique n'a pas connu à ses débuts le succès attendu. Plusieurs syndicats se sont fermement opposés à la dématérialisation du vote pour des raisons de principe, considérant qu'il s'agit d'une « désacralisation » du vote par rapport au vote par corps présent. A cela s'ajoutent de fortes suspicions sur la sincérité du scrutin dès lors que celui-ci est organisé par un prestataire rémunéré par l'employeur. Ces oppositions se traduisent par un contentieux fréquent, accentué par les enjeux liés à la représentativité.

La mise en place du vote électronique enfin clarifiée

Concernant la nature de l'accord sur le vote électronique, les articles L.2314-21 (pour les délégués du personnel) et L.2324-19 (pour le comité d'entreprise) du Code du travail prévoient que « la mise en oeuvre du vote par voie électronique est subordonnée à la conclusion d'un accord d'entreprise ». S'appuyant sur cette rédaction imprécise, certains syndicats ont revendiqué l'unanimité en essayant de tirer parti des articles L.2314-22 et L. 2324-20 du Code du travail qui exige l'unanimité dès lors que l'accord permet aux salariés de voter en dehors du temps de travail.

Tranchant cette question hautement symbolique, la Cour de cassation a, par un arrêt du 5 avril 2011(1), jugé que l'article L.2314-22 du Code du travail, qui prévoit que l'élection a lieu uniquement pendant le temps de travail, ne s'applique pas au vote électronique. Elle en a conclu que la possibilité de procéder au vote électronique à partir de tout ordinateur 24h/24 ne constitue pas une dispo ition du protocole électoral soumise à l'unanimité mais seulement à la majorité (majorité de 30% des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections et absence d'opposition). En conséquence, seules les organisations syndicales représentatives doivent être invitées à la négociation sur le vote électronique.

Concernant le contenu de l'accord sur le vote électronique, l'accord doit comporter en annexe un cahier des charges respectant les prescriptions fixées par le décret et l'arrêté de 2007. La négociation de l'accord sur le vote électronique ne dispense pas de la négociation sur le protocole préélectoral, qui devra préciser le choix du vote élecrronique ainsi que les opérations électorales.

Des précautions indispensables

S'il permet d'alléger la tâche des entreprises, le recours au vote électronique exige toutefois une réelle rigueur dans sa mise en oeuvre pratique. En premier lieu, le système doit assurer la sécurité et la confidentialité de toutes les données. C'est là un point très sensible car les opposants au vote électronique essaient de trouver les failles pour démontrer qu'une telle modalité de vote ne permet pas de garantir la sincérité du scrutin, ce qui leur permet de contester les résultats. En cas de difficultés, il est possible de recourir à un expert indépendant pour limiter les risques de contestations. On notera par ailleurs que, les éléments d'identification des salariés constituant des données personnelles, l'employeur doit effectuer une déclaration préalable du système de vote auprès de la CNIL et informer les représentants du personnel de cette démarche. E

n deuxième lieu, le système de vote mis en place doit respecter les principes généraux du droit électoral. Cette obligation est en pratique source de nombreux litiges. Cer ains syndicats réclament l'application stricte du Code électoral. Or ce Code impose un certain nombre d'obligations telles qu'avoir des bureaux de vote séparés pour chaque scrutin, des urnes transparentes, des bulletins de couleurs différentes, etc. En raison de la dématérialisation du vote, certaines de ces règles n'ont pas de sens et le juge doit tirer toutes les conséquences des parti ularités du vote électronique. Saisi de la question des bureaux de vote séparés, le tribunal de Boulogne Billancourt(2) a ainsi jugé que même si le vote des titulaires et suppléants dans chacun des collèges s'effectue sur la même machine de vote, l'absence de bureaux de vote physiquement séparés n'est pas de nature à vicier le scrutin dès lors que ces votes sont pris en compte séparément par le logiciel. Les juges du fond admettent ainsi une adapta ion nécessaire du Code électoral et on ne peut qu'espérer que la Cour de cassation approuvera cette analyse.

En troisième lieu, l'employeur doit respecter les nombreuses prescriprions prévues par le décret et l'arrêté du 25 avril 2007 relatif aux conditions et aux modalités de vote par voie électronique. 11 faut notamment organiser la formation des représentants du personnel et des membres du bureau de vote au système de vote électronique, faire un test avant le début du scrutin ou encore conserver après le dépouillement le matériel du vote sous scel és jusqu'à l'expiration du délai de recours.

En conclusion, la complexité des opérations de vote électronique, tant dans la préparation que dans le déroulement, ne doit pas découra er les entreprises, qui, comme les syndicats, ont intérêt au développement de cet outil qui permet de lutter contre l'abstention. L'avenir de la représentativité passe sans aucun doute par Internet.


1. Cass. Soc. 5 avril 2011, n°10-1295 !

2. Tl Boulogne Billancourt, jugement du 28 avril 2010

par Nicolas de Sevin, avocat associé et Ludovique Clavreul, avocat

Chronique parue dans la revue Décideurs de juin 2011

Auteurs

Portrait deNicolas de Sevin
Nicolas de Sevin
Ludovique Clavreul
avocat