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Action en réparation du préjudice concurrentiel et présomption d’infraction

Valeur probatoire des décisions des autorités nationales de concurrence dans les actions en follow-on.

25/09/2023

La CJUE reconnaît pour la première fois, au nom du principe d’effectivité, l’existence d’une présomption simple d’infraction dans les actions en réparation de pratiques anticoncurrentielles définitivement condamnées avant l’entrée en vigueur de la directive Dommages (CJUE 20 avril 2023, aff.  C-25/21).

Afin de faciliter les actions privées en réparation des préjudices concurrentiels (« private enforcement »), l’article 9 § 1 de la directive Dommages 2014/104 du 26 novembre 2014 prévoit, rappelons-le, qu’une infraction au droit de la concurrence constatée par une décision définitive d'une autorité nationale de concurrence (ANC) ou par une instance de recours doit être considérée comme établie de manière irréfragable aux fins d'une action en dommages et intérêts introduite devant leurs juridictions nationales au titre de l'article 101 ou 102 TFUE ou du droit national de la concurrence (action en follow-on). Cette directive devait être transposée dans les Etats membres au plus tard le 27 décembre 2016.

Une action en nullité de contrats et en réparation d’un préjudice concurrentiel

L’entreprise pétrolière Repsol avait été condamnée par l’autorité de la concurrence espagnole à deux reprises pour pratique de prix imposés. Ces condamnations étaient devenues définitives avant l’expiration du délai de transposition de la directive Dommages.

En 2018, l’exploitant d’une station-service espagnole avait exercé une action à la fois en nullité des contrats d’approvisionnement qu’il avait conclus avec Repsol (art. 101 § 2 TFUE) et en indemnisation des dommages que lui avaient causés la pratique de prix imposés (art. 101 § 1 TFUE). Pour prouver l’infraction, il avait produit les deux décisions de condamnation.

Le juge saisi du litige avait alors décidé d’interroger la CJUE sur la valeur probatoire de ces décisions dans le cadre de l’action en nullité et en dommages-intérêts introduite devant lui.

Avant de se prononcer, la CJUE s’intéresse d’abord au champ d’application matériel et temporel de la présomption irréfragable d’infraction posée par la directive.

Le champ d’application matériel et temporel de la présomption d’infraction

La présomption irréfragable d’infraction énoncée par l’article 9 § 1 de la directive Dommages n’est en effet pertinente pour la solution du litige que si celui-ci relève de son champ d’application matériel et temporel.

Concernant le champ d’application matériel, la CJUE constate qu’il est limité aux seules actions en dommages et intérêts intentées pour des infractions aux règles de concurrence ; il ne s’étend donc pas à d’autres types de recours ayant pour objet des infractions aux dispositions du droit de la concurrence, comme les actions en nullité (art. 101 § 2 TFUE).

Concernant l’application temporelle de l’article 9 § 1 à la demande de dommages et intérêts, la CJUE rappelle qu’elle dépend de la nature substantielle ou procédurale de cette disposition (CJUE 22 juin 2022, C‑267/20 Volvo et DAF Trucks). En effet, en principe :

  • Les règles substantielles ne s’appliquent pas rétroactivement aux manquements commis avant l’entrée en vigueur de la directive ;
  • Les règles procédurales s’appliquent aux actions introduites après cette date.

Dans un premier temps, la CJUE considère que l’article 9 § 1 constitue une disposition substantielle dans la mesure où il établit une présomption irréfragable de faute (infraction), élément constitutif de la responsabilité civile pour pratiques anticoncurrentielles.

Dans un second temps, la CJUE estime que le fait permettant de considérer que l’infraction est établie de manière irréfragable pour l’action en dommages et intérêts est la date à laquelle la décision de l’autorité de concurrence est devenue définitive (et non la date de commission de l’infraction).

Elle en déduit que l’article 9 § 1 n’est pas applicable ratione temporis à des recours en dommages et intérêts intentés à la suite de décisions devenues définitives avant l’expiration du délai de transposition de la directive Dommages.

En l’espèce, dès lors que les décisions litigieuses étaient devenues définitives avant cette date, la présomption de l’article 9 § 1 ne pouvait pas jouer.

Si cette présomption ne joue pas, quelle est la valeur des décisions des ANC dans les actions civiles en follow-on hors champ de la directive ?

La reconnaissance d’une présomption simple d’infraction en dehors du champ d’application de la directive

Lorsque la directive n’est pas applicable, il convient de se reporter au droit antérieur, c’est-à-dire à l’article 2 du règlement 1/2003 qui prévoit, dans toutes les procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE, que la charge de la preuve d’une infraction incombe à la partie ou à l’autorité qui l’allègue.

La Cour relève que le règlement 1/2003 ne comporte en revanche aucune disposition relative aux effets des décisions des ANC dans le cadre des actions en nullité et/ou en dommages et intérêts pour infraction au droit de la concurrence.

Il revient donc à chaque État membre de régler cette question en veillant à ne pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits d’agir en réparation et en nullité conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité).

A cet égard, l’avocat général soulignait que « l’exercice du droit à réparation pour violations de l’article 101 TFUE deviendrait excessivement difficile s’il n’était pas reconnu aux décisions définitives d’une autorité de concurrence le moindre effet dans les actions civiles en dommages et intérêts ou dans les actions visant à faire valoir la nullité d’accords ou de décisions interdits en vertu de cet article ».

Pour remédier à cette situation, la CJUE consacre un renversement de la charge de la preuve au bénéfice de la victime en se fondant sur le principe d’effectivité du droit de l’Union.

Ainsi, elle reconnaît que la constatation d’une infraction au droit de la concurrence par une ANC établit l’existence de cette infraction dans les actions en dommages-intérêts mais aussi dans les actions en nullité.

Cette présomption n’équivaut toutefois pas à celle posée par la directive Dommages puisqu’il s’agit d’une présomption simple, admise jusqu’à preuve du contraire.

La CJUE indique par ailleurs que cette présomption ne peut jouer que si la nature de l’infraction alléguée dans le cadre de l’action civile ainsi que sa portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale correspondent à celles de l’infraction constatée dans la décision de l’ANC.

En revanche en cas de coïncidence partielle des infractions, les constatations figurant dans la décision de l’ANC ne constituent qu’un indice de l’existence des faits auxquels elles se rapportent.

A noter qu’il en irait différemment en cas de pratiques anticoncurrentielles préalablement condamnées par la Commission européenne, dont les décisions jouissent de l’autorité de la chose décidée et s’imposent par conséquent aux juges nationaux, sous l’empire tant du droit antérieur que de la directive Dommages (article 16 § 2 du règlement 1/2003).

La portée de cette décision

Le recours au principe d’effectivité du droit de l’Union permet à la CJUE de renverser la charge de la preuve dans les actions en follow-on hors champ de la directive Dommages et de déroger ainsi aux règles de la charge de la preuve posées par l’article 2 du règlement 1/2003 et par le Code civil.
Cette solution a l’avantage, lorsqu’une pratique anticoncurrentielle a été définitivement condamnée par une ANC, de faciliter l’action en réparation ou en nullité exercée par la victime qui peut se prévaloir de l’existence avérée d’une faute. 

Au-delà, la décision de la CJUE met en exergue une mobilité du curseur dans l’application temporelle de la directive Dommages selon les dispositions concernées. Ainsi :

  • D’un côté, la présomption de préjudice causé par une entente verticale (posée par l’article 17 § 2 de la directive Dommages, qualifié lui aussi de règle substantielle) n’est pas applicable aux recours portant sur des manquements antérieurs à l’expiration du délai de transposition (c’est-à-dire antérieurs au 27 décembre 2016), même si les recours sont exercés postérieurement (CJUE 22 juin 2022 C-267/20, aff. Volvo et DAF Trucks) ;
  • D’un autre côté, la présomption irréfragable d’infraction de l’article 9 § 1 est applicable aux recours portant sur des manquements antérieurs à l’expiration du délai transposition si la constatation définitive de ces manquements est postérieure à cette date (décision commentée).

A noter que la Cour d’appel de Paris (28 juin 2023 n°21/13172) a fait application de ces nouveaux principes à une procédure en follow-on engagée dans l'affaire des revêtements de sols résilients (entente sur les prix) :

  • Elle a appliqué la présomption irréfragable d’infraction dans la mesure où la décision de condamnation de l'ADLC était devenue définitive après la date limite de transposition de la directive Dommages (solution Repsol) ;
  • En revanche, elle a écarté le bénéfice des présomptions simples de préjudice causé par l'entente et de non-répercussion du surcoût posées par la directive Dommages car les pratiques litigieuses avaient été condamnées avant la date limite de transposition de la directive (solution Volvo). 

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