Home / Actualités / Dissolution-confusion en régime de faveur des fusions...

Dissolution-confusion en régime de faveur des fusions et théorie du prix d’acquisition

Quand choisir, ce n’est pas totalement renoncer.

09/02/2023

Dans une décision RB Holding Europe du Sud rendue le 22 novembre dernier1, le Conseil d’Etat juge que la théorie du prix d’acquisition ne trouve pas à s’appliquer aux opérations de dissolution par confusion de patrimoine placées sous le régime fiscal de faveur des fusions.

Dans cette affaire, une société C a accordé à sa filiale B un abandon de créance assorti d’une clause de retour à meilleure fortune. Cette clause prévoyait notamment le rétablissement de la créance de C en cas de transfert des actifs et des passifs de la société B à une société autre que C. Puis, une société A a acquis 100 % des titres de B auprès de C.

Un mois après cette acquisition, la société A a procédé à la dissolution par confusion de patrimoine de la société B, comme le permet l’article 1844-5 du Code Civil (ci-après « dissolution-confusion »). Cette opération a entrainé la transmission à A, société confondante, de l’ensemble des actifs et des passifs de B, société confondue, ainsi que l’annulation des titres de B inscrits au bilan de A.

La société A ayant placé cette opération sous le régime fiscal de faveur des fusions prévu à l’article 210 A du CGI, l’éventuel boni de confusion, correspondant à la différence positive entre la valeur comptable de l’actif net de la société confondue et la valeur comptable des titres annulés chez la confondante, a été placé en sursis d’imposition.

Mécaniquement, cela a conduit à ce que A applique la clause de retour à meilleure fortune conclue entre B et C, et rembourse cette dernière société, remboursement qu’elle a déduit de son résultat fiscal.

Toutefois, l’administration a remis en cause cette déduction fiscale en arguant de ce qu’elle se rattachait à la gestion de la société confondue B, et non à celle de la société confondante A. Cette approche a été confirmée par le tribunal administratif de Montreuil, mais a néanmoins été remise en cause par la Cour administrative d’appel (ci-après « CAA ») de Versailles2.

Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’Etat, suivant les conclusions éclairantes de sa Rapporteure publique Emilie Bokdam-Tognetti, écarte la théorie du prix d’acquisition dans le cas des dissolutions-confusions en régime de faveur.

Si la prise en compte des charges nées chez la société absorbée dans sa valeur d’acquisition justifie leur non-déduction par la société absorbante…

Dès 1937, le Conseil d’Etat a pu considérer que la prise en charge d’impôts dus par l’apporteur, antérieurement à un apport de fonds de commerce, par une société bénéficiaire de cet apport devait s’analyser comme une modalité de rémunération dudit apport, conduisant à la non-déductibilité de la charge chez la bénéficiaire3. Cette solution a ensuite été étendue en 1938 au cas d’une société nouvelle subrogeant une société dissoute4, puis en 1941 et 1944 aux opérations de fusions5.

Comme le développe Emilie Bokdam-Tognetti dans ses conclusions dans l’affaire RB Holding Europe du Sud, ce n’est qu’au travers d’une décision de 19726 que fut parachevée la théorie prétorienne dite du « prix d’acquisition ». A cette occasion, le Commissaire du gouvernement Jacques Delmas-Marsalet y indiquait que « les dépenses engagées ou dettes contractées par la société absorbée, avant sa dissolution, constituent des éléments du passif de cette dernière qui doivent normalement être pris en compte dans le calcul de la valeur réelle de l'actif net apporté par elle au moment de la fusion. »

Partant de ce postulat, celui-ci précisait, en synthèse, que la valeur réelle de l’actif net apporté permet à la société absorbante de rémunérer les actionnaires de la société absorbée par émission de nouveaux titres. Cette émission conduit alors à une augmentation de capital de la société absorbante et, le cas échéant, à la constitution d’une prime de fusion (ce, via le rapport d’échange)7. A cet égard, et pour reprendre la doctrine des auteurs, « La prime de fusion s'analyse […] comme le « prix du droit d'entrée » des nouveaux associés dans la société absorbante. »8. Ce faisant, l’actif net apporté (égal à l’augmentation de capital et à la prime de fusion) doit s’analyser comme un supplément d’apport qui n’est pas à retenir pour la détermination du résultat fiscal, au sens de l’article 38, 2 du CGI. Or, et c’est ici le cœur du débat, si, postérieurement à la fusion, le passif vient à se matérialiser (au travers d’une charge, par exemple), sa déduction fiscale reviendrait à prendre en compte deux fois ce même passif (lors de l’augmentation des capitaux propres puis via le résultat fiscal). Dans la mesure où le supplément d’apport n’a pas été pris en compte dans le résultat fiscal, alors il doit en être de même, par symétrie, du passif réalisé (la charge ou la perte ne pouvant alors être déduite).

Mais, comme l’explique Emilie Bokdam-Tognetti dans ses conclusions, cette argumentation a par la suite été simplifiée par le Conseil d’Etat pour se concentrer sur le cas où « le passif transmis dans le cadre d’une fusion ou d’un apport est transféré en contrepartie de l'actif recueilli et doit être regardé comme un élément du coût d'acquisition de l’actif net apporté » 9, amenant à ce que « seules les charges qui ne pouvaient être connues lors de la fusion, à l’instar de détournements de fonds, échappent donc à cette mécanique implacable »10. Exit, donc, a priori, l’argumentaire « prime de fusion ».

Même si cette simplification s’apparente à un « bon sens économique », il n’en demeure pas moins que la Rapporteure publique se montre sévère à son encontre, notamment en ce qu’elle semble difficilement conciliable, en toutes circonstances, avec la jurisprudence des années 70, et qu’elle n’épuise pas tout le champ des possibles, notamment s’agissant des dissolutions-confusions, qui plus est en régime de faveur des fusions !

… cette théorie du prix d’acquisition ne saurait néanmoins jouer dans le cas d’une dissolution-confusion placée sous le régime fiscal de faveur des fusions.

Plusieurs décisions contradictoires des juges du fond ont eu à trancher la question de l’applicabilité de la théorie du prix d’acquisition aux dissolutions-confusions. Comme évoqué ci-avant, le tribunal administratif de Montreuil a pu considérer, tout comme la CAA de Nantes11, que tel devait être le cas, à l’inverse de la CAA de Versailles dans l’affaire RB Holding Europe du Sud.

Si les juridictions du fond ont pu étendre cette théorie aux opérations de dissolution-confusion, cela nous semble devoir être lié à la lecture peut-être hâtive de l’argumentation simplifiée de la théorie du prix d’acquisition. En effet, originellement, la théorie du prix d’acquisition est justifiée par l’émission de nouveaux titres pour rémunérer l’apport. Or, dans le cas des dissolutions-confusions, il n’existera jamais de « rémunération » au travers des capitaux propres, en l’absence d’une telle émission. En ce sens, nous rejoignons pleinement Emilie Bokdam-Tognetti dans ses conclusions qui penche pour cette acception. On notera, par ailleurs, que ce raisonnement semble également suivi par le Rapporteur public Romain Victor, lequel a pu préciser dans une autre affaire que « [la CAA] a jugé que cette théorie [du prix d’acquisition] était applicable à une dissolution-confusion – ce qui, soit dit en passant, paraît loin d’une évidence, en l’absence de rémunération versée en contrepartie de l’actif net recueilli par l’associée unique […] »12 .

On peut toutefois relever que le Conseil d’Etat dans sa décision du 22 novembre 2022 ne se contente pas de ce seul argument, puisqu’il décide d’y adjoindre le régime fiscal de faveur des fusions, et son objectif de neutralité fiscale (lequel présente par essence un caractère intercalaire), pour faire échec à l’application de la théorie du prix d’acquisition.

Nous ne pouvons que regretter cette mise en balance, qui ne permet donc pas de trancher définitivement la question (i) des dissolutions-confusions en régime de droit commun et (ii) des fusions placées sous le régime de faveur, ce, à tout le moins lorsque l’actif net apporté est évalué d’après la valeur comptable (étant précisé que la jurisprudence n’a eu à connaître à ce jour que des cas de fusions en régime de droit commun). L’on peut malgré tout espérer que ces opérations pourraient échapper toutes deux à la théorie du prix d’acquisition, pour les raisons qui leurs sont propres (pour l’une, l’absence d’émission de titres rémunérant l’actif net reçu, pour l’autre, le caractère intercalaire de l’opération et, éventuellement, de l’absence de dichotomie fiscalo-comptable s’agissant des valeurs). Réjouissons-nous néanmoins de cette solution positive s’agissant des dissolutions-confusions en régime de faveur, et espérons que l’avenir donnera raison aux arguments développés par la Rapporteure publique sous cette décision RB Holding Europe du Sud. Mais, les mêmes causes devant produire les mêmes effets, il nous est d’ores et déjà permis de penser que la solution retenue par le Conseil d’Etat devrait trouver à s’appliquer (i) aux fusions simplifiées et (ii) aux fusions entre sociétés sœurs sans augmentation de capital de l’absorbante, en cas d’option pour le régime fiscal de faveur.

Article paru dans Option finance du 30/01/2023


(1) CE, 22 novembre 2022, n° 447097, SNC RB Holding Europe du Sud
(2) CAA Versailles, 6 octobre 2020, n° 19VE00960, SNC RB Holding Europe du Sud
(3) CE, 18 octobre 1937, n° 55.831, R.O. page 540
(4) CE, 21 février 1938, n° 47.230, R.O. page 124
(5) CE, 7 mai 1941, n° 59.848 à 59.850, R.O. page 134 et CE 29 avril 1944 n° 67.747 à 67.748, R.O. page 88
(6) CE, 7 juillet 1972, n° 81.749
(7) Sur la question des valeurs réelles et de la parité d’échange, nous nous permettons un renvoi à la décision CE, 1er juin 2020, n° 418378, Sté Lafarge SA, rendue aux conclusions d’Emilie Bokdam-Tognetti.
(8) Mémento Fusions et Acquisitions 2022, n° 8110
(9) CE, 25 septembre 2013, n° 356382, Sté Oddo et Cie
(10) CE, 6 juin 2008, n° 285629, SA Gustave Muller
(11) CAA Nantes, 7 janvier 2022, n° 20NT02887, Sté Malherbe Transports
(12) Conclusions sous la décision CE, 18 octobre 2022, n° 461355, Sté Malherbe de Transports ; voir également en ce sens N. de Boynes, Dr. fisc. 2022 n° 42, comm. 367


En savoir plus sur notre cabinet d’avocats :

Notre cabinet d'avocats est l’un des principaux cabinets d’avocats d’affaires internationaux. Son enracinement local, son positionnement unique et son expertise reconnue lui permettent de fournir des solutions innovantes et à haute valeur ajoutée dans tous les domaines du droit.

cabinet avocats CMS en France

A propos de notre cabinet d'avocats

actualité droit fiscal 330x220

Toute l'actualité fiscale analysée

nous contacter 330x220

Nous contacter

Vos contacts

Portrait deMaxime Carpentier
Maxime Carpentier
Paris
Portrait deAmélie Nithart
Amélie Nithart
Fiscaliste
Paris