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Résiliation anticipée d’un contrat à durée déterminée et rupture brutale de la relation commerciale

La délicate indemnisation du préjudice subi à la suite de la résiliation d’un contrat à durée déterminée

21/06/2022

Dans un arrêt du 17 décembre 2021, la cour d’appel de Paris rappelle que la responsabilité contractuelle d’une partie pour rupture fautive d’un contrat à durée déterminée n’exclut pas sa responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales établies (CA Paris, 17 décembre 2021, n° 18/16840). Cette solution, conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation, illustre toutefois la délicate question de l’indemnisation du préjudice subi en cas de cumul d’actions.

Les faits 

Le 1er février 2010, une société spécialisée dans la vente, la location et la gestion de distributeurs automatiques de boissons conclut avec un client un contrat pour la fourniture de distributeurs de boissons chaudes et froides à l’adresse de son siège social. Ce contrat, prévu pour une durée initiale de 3 ans, est tacitement renouvelé à deux reprises jusqu’au 31 janvier 2019. Onze autres contrats à durée déterminée sont également signés par les parties pour la mise à disposition de fontaines à eau et/ou de distributeurs automatiques de boissons pour les autres sites du client.

Le 18 mai 2016, le déposant fait constater par huissier de justice la présence d’une machine à café  

en face des distributeurs mis en dépôt par ses soins au siège du client. Or, le contrat unissant les parties contient une clause d’exclusivité selon laquelle le client "s’interdit expressément d’installer et d’exploiter un modèle d’appareil de boissons et produits concurrents de ceux qui lui sont confiés par le déposant" pendant toute la durée du contrat.

Offusqué de ce procédé qu’il qualifie de cavalier et maladroit, le client notifie, le 19 mai 2016, la résiliation de l’intégralité des contrats conclus avec le déposant. Ce dernier conteste la rupture, qu’il qualifie de fautive, et s’estime victime d’une rupture brutale des relations commerciales établies. Il assigne son client devant le tribunal de commerce de Paris en réparation du préjudice subi.

En première instance, les magistrats parisiens accueillent la demande du déposant et retiennent la responsabilité contractuelle du client aux motifs que celui-ci a :

  • d’une part, violé la clause d’exclusivité du contrat en installant une machine à café concurrente en face des machines du déposant ; et
  • d’autre part, résilié unilatéralement l’ensemble des contrats avant leurs termes respectifs.

En revanche, et au motif que les responsabilités contractuelle et délictuelle ne peuvent se cumuler, les juges consulaires rejettent la demande en réparation du préjudice subi par le déposant au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies (T.com. Paris, 22 mai 2018, n° 2017001645). Le client interjette appel de la décision.

La reconnaissance d’un cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle en cas de rupture brutale des relations commerciales établies

La question posée à la cour d’appel de Paris était celle de savoir si, en l’espèce, la résiliation du contrat par le client était à la fois fautive et brutale.

  • Sur la résiliation fautive du contrat  

Sur ce premier point, la cour d’appel de Paris confirme le jugement du tribunal de commerce de Paris. En effet, selon elle, la responsabilité contractuelle du client doit être retenue dès lors que :

  • l’installation d’une machine à café entrant directement en concurrence avec les distributeurs du déposant constitue une violation de la clause d’exclusivité prévue au contrat et, in fine, une faute contractuelle du client ;
  • la résiliation unilatérale des différents contrats, tous conclus pour des durées déterminées, est fautive dès lors qu’elle n’est motivée par aucun des cas de résiliation anticipée prévus auxdits contrats.

S’agissant de l’évaluation du préjudice subi par le déposant, la Cour d’appel approuve également l’analyse des juges de première instance et condamne le client à payer au déposant les sommes suivantes :

  • 11 725,80 € TTC au titre des gains manqués en raison de la résiliation anticipée des contrats calculée au regard de la durée restant à courir de ces derniers, et
  • 1 723,17 € TTC au titre de la perte de chiffre d’affaires consécutive à l’installation d’une machine concurrente au siège du client en violation de la clause d’exclusivité prévue au contrat.
  • Sur la rupture brutale de la relation commerciale

Débouté en première instance sur ce point, le déposant sollicite en appel la réparation du préjudice dont il s’estime victime du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies, sur le fondement de l’ancien article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce (article L. 442-1, II nouveau).

La Cour commence par rappeler que cette demande n’est légitime qu’en présence d’une relation commerciale établie, c’est-à-dire en présence d’une relation qui, avant la rupture, revêtait "un caractère suivi, stable et habituel et où la partie victime de l’interruption pouvait raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaire avec son partenaire commercial" ; étant précisé que ce n’est pas la rupture en elle-même qui est sanctionnée mais "sa brutalité caractérisée par l’absence de préavis écrit ou l’insuffisance de préavis, lequel doit s’entendre du temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné". La Cour indique ensuite que "le fait que la responsabilité contractuelle du client ait été retenue pour résiliation fautive n’exclut pas une indemnité sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies".

Après avoir constaté l’existence d’une relation commerciale établie entre le déposant et le client ("la multiplicité des contrats, leur ancienneté et le suivi de la relation commerciale entre ces sociétés caractérise l’existence d’un courant d’affaires régulier et donc établi entre elles […]", le déposant ne pouvant "raisonnablement prévoir que son cocontractant allait rompre les relations pour l’ensemble des contrats au surplus sans aucun préavis"), les juges d’appel accueillent la demande du déposant et concluent à la brutalité de la rupture des relations commerciales. Selon eux, eu égard à la durée de la relation commerciale (supérieure à 12 ans), un préavis de 10 mois aurait dû être accordé au déposant. Par conséquent, le client est condamné à verser au déposant des dommages-intérêts dont le montant correspond au produit du coefficient de marge brute multiplié par le nombre de mois de préavis qui aurait dû être accordé au déposant (10 mois).

Une solution contestable au regard du principe de réparation intégrale du préjudice

En énonçant que "le fait que la responsabilité contractuelle [du défendeur] ait été retenue pour résiliation fautive n’exclut pas une indemnité sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies", la cour d’appel de Paris ne fait que rappeler le principe dégagé par la Cour de cassation selon lequel une action en responsabilité contractuelle peut se cumuler avec une action distincte fondée sur la rupture brutale d’une relation commerciale établie, si celle-ci repose sur une demande distincte (Cass.com., 24 octobre 2018, n° 17-25.672 - voir notre article : Rupture brutale des relations commerciales : possibilité de cumul des responsabilité contractuelle et délictuelle).

Toutefois, si un tel cumul d’actions est possible, c’est sous la condition que lesdites actions tendent à réparer des préjudices distincts. En effet, en vertu du principe dit de la réparation intégrale, le préjudice subi doit être intégralement réparé mais il ne doit, en aucun cas, être réparé deux fois.

Or, il nous semble que, sur ce point, la solution de la cour d’appel de Paris est discutable : elle condamne le client à payer au déposant les sommes restant dues jusqu’au terme des contrats résiliés, ainsi que des dommages-intérêts en réparation de la rupture brutale de leurs relations commerciales. Cette double indemnisation ne reviendrait-elle pas, in fine, à indemniser deux fois le même préjudice et, ainsi, à méconnaître le principe de la réparation intégrale ?

L’action fondée sur la rupture brutale des relations commerciales établies ne sanctionne pas la rupture mais la brutalité de celle-ci ainsi que ses conséquences. L’action fondée sur la résiliation anticipée fautive d’un contrat à durée déterminée tend, quant à elle, à sanctionner la cessation anticipée de l’exécution sans justification. A priori, ces actions tendent donc à indemniser des préjudices distincts. Toutefois, au cas d’espèce, les juges d’appel ont accordé au déposant deux indemnisations pour une même période : une fois au titre des gains manqués jusqu’à l’échéance des contrats et une autre fois au titre du préavis à accorder avant de mettre un terme à la relation commerciale. Or, il est difficile de comprendre en quoi l’indemnisation retenue au titre de la non-exécution des contrats jusqu’à leurs termes contractuels ne couvrirait pas le gain manqué résultant de l’absence d’un préavis d’une durée de 10 mois.

A cet égard, et pour des faits similaires au cas d’espèce, nous rappellerons que la Cour de cassation a cassé en 2016 pour violation de l’article 1382 du Code civil [devenu l’article 1240] et du principe de réparation intégrale, l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui, ayant condamné tout à la fois l’auteur de la rupture d’un contrat à durée déterminée à payer les commissions jusqu’au terme prévisible du contrat résilié et des dommages-intérêts correspondant à un préavis de six mois en réparation de la rupture brutale de leurs relations commerciales, avait indemnisé deux fois le même dommage (Cass.com., 16 février 2016, n° 14-22.914).


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