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La nouvelle politique de la France à l'égard des paradis fiscaux

13/04/2010

Les paradis fiscaux sont au cœur de l’attention politique et médiatique. Mais quels sont précisément ces pays ? Comment la France entend elle lutter contre eux ? Et quels sont les problèmes soulevés par la mise en œuvre effective du nouvel arsenal anti paradis fiscaux ?


1. La liste OCDE des paradis fiscaux

En matière de paradis fiscaux, tout dépend du standard international adopté.

Dans sa liste publiée en 2000, l’OCDE identifiait trente-cinq pays ou juridictions qui (i) ne disposaient pas de fiscalité, (ii) ne procédaient à aucun échange de renseignements, (iii) ne pratiquaient pas la transparence et (iv) n’avaient pas d’activité économique réelle.

En 2002, cette liste de pays s’était réduite à sept paradis fiscaux qualifiés de non coopératifs. Suite à la crise financière et bancaire de 2008/2009, l’attention internationale s’est concentrée sur le critère de l’échange de renseignements en matière bancaire. Le 2 avril 2009, l’OCDE publiait un rapport de progrès composé de trois listes. Une première liste (dite « liste blanche ») comprenait les pays qui appliquaient de manière effective les accords d’échange de renseignements. Une seconde liste (dite « liste grise ») reprenait les pays ayant simplement pris de tels engagements. Enfin, la troisième liste (dite « liste noire ») censée inclure les pays n’ayant pas pris de tels engagements, ne comprenait plus aucun pays quelques jours après sa publication. Pour passer de la liste « grise » à la liste « blanche », le critère retenu était celui de la signature d’au moins douze accords d’échange de renseignements. L’impulsion était donnée et en moins d’un an, trois cents accords (dont cinquante entre paradis fiscaux eux-mêmes) étaient signés.

Dans son rapport de progrès du 14 janvier dernier, l’OCDE ne comptabilise ainsi plus aucun paradis fiscal non coopératif.

Les accords doivent maintenant être ratifiés, puis appliqués. Le Forum mondial sur la transparence et l'échange d'informations à des fins fiscales a été revivifié afin de suivre l’application effective de ce processus. Ce Forum comprend aujourd’hui quatre-vingt douze pays membres, qui se sont engagés à appliquer le standard international et à être jugés par leurs pairs. La prochaine réunion du Forum aura lieu le 30 septembre prochain à Singapour. Affaire à suivre…

2. La nouvelle stratégie française en matière d’évasion fiscale et la notion d’Etats ou territoires non coopératifs

La France a décliné sur le plan interne cette nouvelle approche de la question des paradis fiscaux en définissant une stratégie fiscale en trois points.

Premier point, l’administration fiscale a ouvert une cellule de régularisation des actifs détenus à l’étranger par des résidents français.

Deuxième point, la France a signé des accords d’échange de renseignements avec de nombreux paradis fiscaux (notamment Jersey, Guernesey, l’Ile de Man, les Iles vierges britanniques, Saint-Marin, Andorre, Gibraltar, le Liechtenstein, les Iles Turks & Caicos, les Iles Caïman, les Bermudes, les Bahamas, le Vanuatu et l’Uruguay).

Enfin troisième point, on a défini en droit français la notion d’Etat ou territoire non coopératif (« ETNC »). C’est une nouveauté puisque jusqu’ici seule une référence aux « régimes fiscaux privilégiés » existait dans le Code général des impôts (CGI). C’est aussi une petite révolution puisque figure désormais à l’article 238-0 A du CGI une référence directe à ce que certains désignent comme le « droit mou » de l’OCDE.

La liste des ETNC a été publiée le 17 février par arrêté et comprend dix-huit juridictions : Anguilla, Belize, Brunei, le Costa Rica, la Dominique, la Grenade, le Guatemala, les Iles Cook, les Iles Marshall, le Libéria, Montserrat, Nauru, Niue, le Panama, les Philippines, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie et Saint-Vincent et les Grenadines. Les mesures anti-ETNC entrent en application, s'agissant des retenues à la source, au 1er mars 2010, et s'agissant de l'exclusion du régime mère-fille et du régime des plus-values à long terme au 1er janvier 2011.

La liste sera mise à jour annuellement au 1er janvier pour tenir compte (i) des conventions nouvellement conclues (notamment avec la France), (ii) de l’efficacité des accords d’échange de renseignements existants et (iii) de l’examen de la législation des Etats mené par le Forum mondial (voir en dernier lieu la liste publiée par l’OCDE le 22 février 2010). Des pays pourront donc être retirés de la liste et d’autres y entrer. L’ajout d’un Etat ne produira d'effet qu'au 1er janvier suivant (soit un an après), tandis que la sortie de la liste produira des effets immédiats.

3. L’articulation entre les différents régimes de répression de l’évasion fiscale internationale

Le régime fiscal des ETNC se superpose aux dispositifs anti-abus existants qui s’appliquent généralement à l'encontre des Etats dotés de régimes fiscaux privilégiés (CGI, art. 209 B, 57, 123 bis, 238 A) sans que la question de l’échange de renseignements ne soit un critère.

Ainsi, un pays à régime fiscal privilégié qui aurait conclu une convention d’assistance administrative avec la France ne serait pas considérée comme un ETNC, mais serait toujours potentiellement dans le champ d’application de l’article 209 B du CGI. Inversement, des revenus en provenance d’un ETNC qui auraient subi une imposition comparable à une imposition française (et qui ne seraient donc pas dans le champ de l’article 209 B) et qui seraient distribués à une société mère française, ne seraient pas éligibles au régime mère-filles en France, en l’absence de toute clause de sauvegarde prévue à l’article 154-6 j du CGI.

Dans ce contexte, quelle est la portée exacte des accords d’échange de renseignements ? Ils ne peuvent à l’évidence être qualifiés de conventions fiscales (ils ne contiennent aucun mécanisme d’élimination des doubles impositions). Or, certains traitements fiscaux favorables sont conditionnés au fait que le contribuable soit établi ou domicilié dans un Etat ou territoire ayant conclu avec la France « une convention fiscale contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales » (CGI, art. 210-0 A II relatif au régime de faveur des fusions, art. 158 relatif à l’abattement de 40% sur les dividendes versés). Ces régimes favorables seront-ils accordés dans le cas d’un pays ayant signé un simple accord d’échange de renseignements ? La réponse n’est pas évidente.

A l’inverse, il nous semble que, sous réserve du respect des obligations déclaratives, la taxe de 3% sur la valeur vénale des immeubles possédés en France par des personnes morales ne serait plus applicable aux entités juridiques ayant leur siège dans un pays ayant signé un accord d’échange de renseignements. En effet, la notion de "convention d’assistance administrative" (visée à l’art. 990 E 3° du CGI) couvre a priori les accords d’échange de renseignements.

4. Questions ouvertes dans la mise en œuvre pratique des mesures contre les ETNC

En matière de retenues à la source sur les revenus de capitaux mobiliers, deux sujets doivent particulièrement retenir l’attention : les produits des placements à revenu fixe et les dividendes.

L'article 125 A, III du CGI a été réécrit afin de restreindre le champ d'application du prélèvement obligatoire aux revenus et produits de placements à revenu fixe dont le débiteur est établi ou domicilié en France et qui sont payés hors de France dans un ETNC. Dans ce cas, le prélèvement s'appliquera, à compter du 1er mars 2010, au taux spécifique de 50 %, sauf à pouvoir démontrer que l’opération a un objet et un effet autre que de permettre la localisation de ces produits dans un ETNC (clause de sauvegarde). Cette disposition permet de soumettre au prélèvement obligatoire les produits de placement à revenu fixe payés à un établissement financier intermédiaire établi dans un ETNC, et cela quelle que soit la résidence fiscale du bénéficiaire des revenus, y compris si celle-ci est située dans un pays conventionné (ce qui est plutôt inhabituel).

Par ailleurs, les établissements de crédit n’ont pas toujours les moyens de savoir où sont domiciliés les souscripteurs finaux des obligations émises par des sociétés françaises, compte tenu du nombre d’intermédiaires financiers susceptibles d’intervenir dans la chaîne des paiements (cf. le rôle des chambres de compensation, des dépositaires…). Par crainte d’une mise en jeu de leur responsabilité, ceux-ci pourraient être conduits à prélever de manière systématique la retenue à la source de 50%. Cette disposition législative pourrait donc avoir de sérieuses conséquences sur la liquidité de ces titres.

L’institution d’une retenue à la source de 50% sur tout dividende payé dans un ETNC pose le même type de difficultés (art. 119 bis et 187 du CGI). Sont ainsi visés les paiements réalisés via un établissement financier établi dans un ETNC, quelle que soit la résidence fiscale du bénéficiaire effectif, ainsi que les versements effectués directement au bénéficiaire résident d’un ETNC. Les petits actionnaires non domiciliés dans de tels Etats ou territoires mais qui pourraient subir la retenue à la source au taux de 50%, hésiteront peut être à acquérir des titres de sociétés françaises dans ces conditions.

Un rescrit 2010/11 a été publié le 22 février 2010 afin de régler ces difficultés en ce qui concerne les titres de créances. Un autre rescrit sur les dividendes devrait suivre.


Julien Saïac*, avocat associé

* l'auteur remercie Pierre-François Dub-Atteni pour son aide précieuse dans la rédaction de cet article

Article paru dans la revue Option Finance du 1er mars 2010

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Julien Saïac
Associé
Paris