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Pas de délai de paiement des droits de succession pour l'héritier réservataire

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé à la suite du renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par la Cour de cassation dans un arrêt du 5 avril 20231.

12/09/2023

En présence d’un légataire universel, l’obligation pour l’héritier réservataire, créancier d’une indemnité de réduction, de déposer une déclaration de succession et de payer l’impôt successoral correspondant dans les six mois du décès est conforme à la Constitution, quand bien même l’héritier réservataire n’aurait pas encore perçu les sommes imposables dans le délai requis par la loi pour acquitter l’impôt.

Cons. const., QPC, 1er juin 2023, no 2023-1051, Mme Catherine R. et a. [Droits de mutation par décès et indemnité de réduction en valeur des libéralités excessives] : JO, 2 juin 2023

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé à la suite du renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par la Cour de cassation dans un arrêt du 5 avril 20231.

L’affaire ayant donné lieu à la QPC était relative à un décès survenu en 2012. Le défunt avait laissé pour lui succéder sa seconde épouse en tant que légataire universelle et deux héritiers réservataires, une fille d’un premier mariage et un fils issu de son union avec sa seconde épouse. Dans ce type de situation, on rappellera que les héritiers réservataires ne sont pas propriétaires indivis avec la légataire universelle des actifs de la succession2 : la légataire universelle a le droit de recevoir tout l’actif successoral mais doit une indemnité de réduction aux héritiers à hauteur du montant de leur réserve héréditaire. Or, comme on le voit souvent, des difficultés sont nées au cas particulier entre la légataire universelle et les héritiers réservataires sur la composition de l’actif net successoral et la fixation du montant des indemnités de réduction dues. Les parties ont finalement signé un protocole transactionnel en début d’année 2017, ce qui a permis aux héritiers réservataires de déposer une déclaration de succession et de s’acquitter de l’impôt successoral, par hypothèse bien au-delà du délai de six mois à compter du décès prévu à l’article 641 du Code général des impôts (CGI). Sur le fondement des articles 1840 E et 1709 du CGI, l’administration fiscale a alors réclamé aux héritiers réservataires l’acquittement d’intérêts de retard pour paiement tardif et d’une majoration de 10 % pour dépôt de déclaration hors délai.

Le fils du défunt a assigné l’administration fiscale pour obtenir le dégrèvement des droits de succession dont il s’était acquitté ou, à défaut, des pénalités réclamées.

Par ordonnance du 11 janvier 2023, le tribunal judiciaire de Paris a transmis à la Cour de cassation la QPC suivante : « Les dispositions de l’alinéa 1er de l’article 724 du Code civil combinées à celles des articles 641 et 1701 du Code général des impôts, en ce qu’elles imposent le règlement des droits de succession avant l’enregistrement de la déclaration de succession, soit dans un délai de six mois à compter du décès, et conduisent à ce qu’en présence d’un légataire universel cumulant cette qualité avec celle d’héritier, les héritiers réservataires soient tenus de verser des droits de succession au titre de biens qui ne leur sont pas transmis et dont ils n’auraient pas reçu la contre-valeur imposable, indépendamment de leur volonté, portent-elles atteinte aux droits et libertés garantis par les dispositions de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 selon lesquelles chaque citoyen contribue aux charges publiques à raison de ses facultés ? »

La Cour de cassation, dans sa décision du 5 avril 2023, a considéré que la question présentait un caractère sérieux au regard de l’exigence de prise en compte des facultés contributives telle qu’elle résulte de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, et a renvoyé la question au Conseil constitutionnel. La Cour de cassation a souligné que, en application du CGI, l’héritier réservataire était tenu d’acquitter un impôt sur des sommes qu’il pouvait ne pas avoir perçues, et ce, pour des raisons indépendantes de sa volonté.

Le Conseil constitutionnel a déclaré néanmoins les dispositions du CGI conformes à la Constitution : « Les mots “les héritiers” figurant au premier alinéa de l’article 641 du Code général des impôts, dans sa rédaction issue du décret n° 72-685 du 4 juillet 1972 mettant en harmonie le Code général des impôts avec les dispositions de la loi n° 69-1168 du 26 décembre 1969 portant simplifications fiscales et incorporant à ce code diverses dispositions d’ordre financier, sont conformes à la Constitution ».

Le Conseil constitutionnel relève que :

  • l’héritier réservataire dispose d’une créance certaine à l’égard du légataire universel ;
  • les héritiers réservataires ont la faculté de mettre en œuvre l’ensemble des procédures de droit commun pour garantir et recouvrer leur créance ;
  • les héritiers réservataires ont la possibilité, en vertu de l’article 813-1 du Code civil, de demander au juge la désignation d’un mandataire successoral.

Si la décision du Conseil constitutionnel valide sans ambiguïté le dispositif fiscal actuel, tout praticien qui a déjà géré des successions conflictuelles pourrait témoigner du décalage existant entre le raisonnement suivi par le Conseil constitutionnel et les difficultés auxquelles les héritiers sont confrontés.

Les dispositions fiscales objets de la QPC étaient les suivantes :

  • l’article 641 du CGI qui prévoit notamment que lorsque le défunt est décédé en France, ses héritiers/légataires ont six mois à compter du décès pour déposer la déclaration de succession ;
  • l’article 1701 du CGI dont il résulte que le dépôt de la déclaration de succession doit être accompagné du paiement des droits de successions dus.

En cas de décès en France, la déclaration de succession doit donc être déposée, accompagnée du paiement des droits, dans les six mois du décès. À défaut, un intérêt de retard au taux de 0,20 % par mois est dû à compter du septième mois suivant le décès (CGI, art. 1727). Une pénalité de 10 % est également due à défaut de dépôt de la déclaration dans l’année du décès : cette majoration passe à 40 % en l’absence de dépôt dans les 90 jours suivant la réception d’une mise en demeure de déclarer (CGI, art. 1728).

La question portait sur la conformité des dispositions des articles 641 et 1701 du CGI au principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques.

Or, les trois arguments soulevés par le Conseil constitutionnel pour déclarer le dispositif conforme à la Constitution ne convainquent pas.

Le premier est la certitude de la créance de l’héritier réservataire dès l’ouverture de la succession. Tout d’abord, comme l’a souligné un commentateur de la décision, on peut objecter que la réduction n’a rien d’automatique : elle n’est pas certaine tant qu’elle n’est pas demandée par l’héritier réservataire et n’est donc pas taxable dans l’intervalle3. Cependant, quand bien même la réduction est demandée et que la créance d’indemnité de réduction est certaine dans son principe, en présence d’une succession conflictuelle, elle est en général contestée dans son montant. Néanmoins, il est illusoire de considérer que l’indemnité de réduction sera payée dans les temps tant qu’elle est contestée dans son montant : le débiteur ne paiera en pratique que lorsqu’un accord sera trouvé entre les parties, souvent au prix de mois voire d’années de négociation, ou lorsqu’une décision de justice fixera le montant à payer. La certitude de sa créance ne fournit donc pas à l’héritier les moyens d’acquitter sa dette fiscale dans les délais impartis par la loi.

Le deuxième argument invoqué par le Conseil constitutionnel pose la même difficulté. Les Sages relèvent que l’héritier a la faculté de mettre en œuvre l’ensemble des procédures de droit commun pour garantir et recouvrer sa dette. Cependant, là encore, il y a confusion entre le principe de la dette d’indemnité de réduction et son paiement effectif. Le problème ne porte pas sur le principe du recouvrement de l’indemnité de réduction mais sur le délai nécessaire pour l’obtenir : corrélativement, la difficulté fiscale pour l’héritier dont la créance est certaine n’est pas de payer des droits de succession à l’État mais de les payer dans les délais exigés par la loi sous peine de devoir régler des intérêts de retard et une majoration. Or, les procédures à mettre en œuvre visées par la décision du Conseil constitutionnel permettront uniquement de garantir que la dette d’indemnité de réduction sera payée… un jour. Ces procédures ne sont pas une parade aux intérêts de retard et à la majoration fiscale que peut causer le retard de paiement de l’indemnité de réduction par son débiteur.

Quant au troisième argument, il est encore plus surprenant. Le Conseil constitutionnel rappelle que les héritiers réservataires, même en l’absence d’indivision, peuvent demander la désignation d’un mandataire successoral4. Toutefois, là encore, on ne voit pas en quoi le mandataire successoral viendrait régler la difficulté liée au délai de paiement des droits de succession. Indépendamment de la question de savoir si le mandataire successoral est en mesure de payer spontanément une dette de droits de succession, qui représente une dette personnelle de l’héritier et non une dette successorale, on voit mal le mandataire successoral prendre la responsabilité de le faire tant que la dette n’est pas certaine dans son montant.

Les arguments invoqués par le Conseil constitutionnel ne règlent donc en rien le problème de « timing » qui était soulevé par la QPC. On rappellera que le paiement fractionné, correspondant à un échelonnement du paiement des droits de succession sur une période de seulement trois ans et non à un report pur et simple de paiement, nécessite la présence d’actifs non liquides énumérés au quatrième alinéa de l’article 404 A de l’annexe III au CGI, parmi lesquels figurent les seules créances non exigibles au décès. Le paiement fractionné n’est donc pas au cas particulier une porte de sortie, même partielle, pour l’héritier réservataire.

Au final, les héritiers seront confrontés au dilemme suivant : soit payer, s’ils le peuvent, les droits de succession dans les délais à partir de leur patrimoine autre que la créance d’indemnité de réduction, soit emprunter et payer des intérêts à leur banque si l’emprunt leur est accordé, soit payer en retard et s’exposer à devoir régler des intérêts et une majoration à l’État. Certes, ils peuvent essayer de formuler une demande de provision auprès du juge sur le fondement de l’article 789, 3°, du Code de procédure civile, autrement dit une demande d’avance sur leurs droits dans la succession, mais cette demande devra être conforme aux conditions exigées par la loi et son traitement sera soumis à l’aléa judiciaire. Dans tous les cas, le temps judiciaire est tel que le délai de six mois sera expiré, voire largement dépassé, lorsque l’héritier obtiendra une provision.

En pratique, l’existence d’un délai fiscal de paiement de l’impôt successoral déconnecté de la réalité économique perturbe le règlement civil des successions : les débiteurs peuvent utiliser les échéances fiscales intenables pour leurs créanciers comme un moyen de pression. Par ailleurs, les intérêts de retard et la majoration pour retard de dépôt nous semblent détournés de leur finalité. Ces intérêts et majoration doivent sanctionner des héritiers non diligents et non des héritiers « pris en otage » d’un débiteur qui conteste, à juste titre ou non, le montant de leur créance.

Les héritiers peuvent bien tenter de demander à l’administration fiscale une remise gracieuse des intérêts de retard et de la majoration acquittés. Cependant, comme son nom l’indique, cette remise relève du gracieux et n’a rien, par hypothèse, d’automatique. Le résultat de la demande de remise gracieuse va donc dépendre de l’appréciation souveraine et subjective de chaque service. Cette situation nous semble donc très éloignée du principe d’égalité.

À noter que la problématique est plus générale que celle de l’héritier réservataire. En présence d’une succession conflictuelle, la jurisprudence de la Cour de cassation considère que le propriétaire apparent doit déposer une déclaration de succession sans pouvoir évoquer l’existence d’un litige5. La seule exception semble fondée sur une tolérance administrative reposant sur l’engagement d’une procédure judiciaire dans les six mois du décès6, délai très difficilement tenable en pratique si les héritiers veulent se laisser une chance de régler leur litige en dehors des tribunaux.

Selon nous, dans tous les cas, les intérêts et majorations ne devraient pas être dus si l’héritier est en mesure de prouver que le retard s’explique par des raisons indépendantes de sa volonté. Les Sages n’ayant pas été convaincus, les héritiers pourront peut-être se tourner vers le droit européen, le droit de propriété étant protégé par le premier protocole à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Article paru dans la Gazette du Palais du 29/08/2023. L’intégralité de la Gazette spécialisée Droit privé du patrimoine est accessible sur la base Lextenso : Gazette du Palais | La base Lextenso (labase-lextenso.fr)


1 – Cass. com., 5 avr. 2023, n° 23-40001, D.

2 – Not. Cass. 1re civ., 11 mai 2016, n° 14-16967.

3 – JCP N 2023, n° 25, p. 5 à 6, note J.-J. Lubin.

4 – Cass. 1re civ., 17 oct. 2019, n° 18-23409, F-PBI.

5 – Not. Cass. com., 18 oct. 2011, n° 10-25074, DGFP des Alpes-Maritimes c/ D. et a., F-D.

6 – En ce sens, BOI-ENR-DMTG-10-60-50, n° 50, 30 oct. 2014 : https://lext.so/hTvqP1.


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